Renart, pourtant, ne succomba point.
Blessé, agonisant, souffrant mille tortures, privé des consolations de sa chère Hermeline, il semblait arrivé au tréfonds du malheur, quand une chance lui survint. La chèvre Metbé le recueillit, le pansa et, à l’aide de drogues et de philtres dont elle avait le secret, le guérit. Dès qu’il se sentit mieux, il commença à regretter Maupertuis et parla d’y retourner. Malgré les conseils de Metbé qui savait la place encore, surveillée, il partit un beau soir après avoir bien remercié sa garde-malade et lui avoir solennellement promis de s’amender.
Ce que Metbé avait prévu se réalisa : le lendemain même de son arrivée, Renart était pris, garrotté et conduit devant le roi.
Ses ennemis avaient une telle hâte de vengeance que les fourches étaient dressées avant qu’il fût condamné à être pendu.
Toutefois, il ne désespérait point de s’en tirer encore. Quand il se trouva en face du roi, il commença à s’accuser de certaines fautes vénielles, pour mieux se disculper d’autres plus graves ; puis il supplia :
« Gentil roi, recevez votre baron à merci. Après avoir donné l’exemple du péché, je voudrais donner l’exemple du repentir. Je partirai pour la Terre-Sainte ; je ferai pénitence et jamais plus je ne serai l’occasion d’une clameur.
— Sire, appuya Grimbert, je me porte garant de Renart. Défendez-le du gibet, il s’en ira en pèlerinage et renoncera, pour toujours à sa vie de mauvais garçon.
— Il reviendra pire ! fit le roi. Tous font de même. Ils ajoutent à leur propre malice la malice sarrasine, qu’ils apprennent là-bas, et qui est considérable.
— Eh bien ! insista le blaireau, s’il plaît à votre Majesté, il ne reviendra pas, mais qu’il parte.
À ces mots, Renart sanglota si fort que Noble ne put se défendre d’en être touché.
— Ah ! méchant larron, fit-il, toujours éloigné du droit chemin, n’avez-vous pas mérité cent fois la hart destinée à vous pendre ?... Je ne devrais pas vous croire, et peut-
être me repentirai-je de vous avoir fait miséricorde. Mais, devant tous, je donne ma parole royale que si vous commettez le moindre méfait, rien ne vous garantira plus de la potence. »
Ce disant, Noble releva avec bonté le coupable qui était à genoux, le visage dans la poussière.
La reine lui offrit un anneau d’argent, destiné à lui rappeler sa promesse de bien vivre désormais. Puis, faisant le tour de l’assemblée, il rompit le fétu de paix avec tous les barons présents.
Le voyant une fois encore rentré en grâce, ils lui firent bonne figure et plusieurs même lui dirent :
« Nous menions grand deuil de vous voir si mal en point.
Mais quand vint le tour d’Ysengrin, celui-ci prononça brutalement :
— Je ne romps point le fétu avec les félons, et je n’attends que le congé du roi pour demander la bataille en champ clos. »
La franche bataille n’était point le fait de Renart, quoiqu’il remportât assez souvent la victoire ; car s’il n’était pas le plus fort, il était le plus adroit et connaissait tous les tours qui existent en France et en Navarre.
Mais cette fois, il se trouvait mal remis de la correction que lui avait infligée Morhou, ses reins étaient cassés, ses pattes vacillantes, et il se sentait faible comme un vieillard. Il craignait avec raison de ne pouvoir supporter l’assaut d’Ysengrin.
Le roi, tout fâché qu’il fût du retour de cette querelle qu’il croyait apaisée, ne put refuser au loup la bataille en champ clos qu’il réclamait. Il chargea donc Brichemer de régler et de diriger le combat. Le sénéchal s’adjoignit Brun et Baucent, qui étaient équitables et qui connaissaient parfaitement tout ce qui concerne armes, joutes et autres choses de même sorte.
Mais, auparavant, le sage Brichemer voulut faire une dernière tentative de conciliation.
Il se rendit auprès du loup et lui dit :
« Il est fâcheux pour toute la noblesse que vous persistiez dans votre rancune. Qu’avez-vous à y gagner, sinon le mécontentement du roi ? D’autres avaient à se plaindre de Renart qui n’ont point refusé de rompre avec lui le fétu de paix. Recevez-le donc à composition. Noble et tous les barons vous en sauront gré.
— Vous perdez vos discours, répondit Ysengrin. Que je sois mis en charbon si jamais je m’accorde avec ce traître. Le plus long jour d’été ne suffirait pas à raconter tout le tort qu’il m’a fait, tous les maux dont il m’a accablé. Je sais que le roi lui fut toujours favorable, mais peu m’en chaut. Je veux la bataille et je l’aurai. La paix ne peut se faire que dans le champ ; et j’ai tout lieu de croire que c’est ce mauvais roux qui en paiera les frais. »
Cette réponse fut rapportée au roi qui s’en montra fort courroucé, mais qui, dans sa justice, prononça néanmoins :
« Je ne peux que maintenir le droit du connétable.
Et comme le peuple se pressait autour des barrières, demandant à grands cris que la bataille commençât, le roi ordonna :
— Sénéchal, livrez le champ !
Quand Renart, affaibli, impotent, se vit en face d’Ysengrin, qui se montrait plein de force et d’ardeur, il essaya encore de le fléchir.
— Messire connétable, dit-il humblement, prenez l’amende que je vous offre ; ceux de ma parenté vous feront hommage, et je m’éloignerai pour toujours.
— Ne vous inquiétez point du voyage, répondit le loup avec arrogance ; au sortir de mes mains, vous serez délivré du souci de chercher désormais aucun gîte.
— Savoir encore, murmura Renart, qui reprenait confiance en sa fortune habituelle. ‘Qui mal cherche, mal lui vient’ dit le sage. Puisse-t-il, en l’occurrence, avoir raison ! »
Mais la lutte était trop inégale. En rien de temps, Renart fut terrassé, piétiné, boulé par son adversaire qui le maintint sous ses quatre pieds, en jetant autour de lui un regard de triomphe.
Brichemer allait le proclamer vainqueur, quand Renart, d’un effort désespéré, releva la tête et mordit Ysengrin au ventre, si cruellement que l’autre tomba défaillant sur le sol, en poussant des cris de douleur. Et ce fut au milieu d’un grand tumulte que le sénéchal déclara incertain le résultat de la bataille.
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