Quand le compte de Brun et d’Ysengrin fut réglé, on s’occupa de Renart. Il fut convenu qu’il partirait sans délai pour aviser aux moyens de mettre le roi en possession du trésor.
Une foule empressée le conduisit sur la route en le félicitant de la faveur royale dont il était l’objet. Quand vint le moment de la séparation, Renart dit :
« Ah ! Si quelques-uns d’entre vous consentaient à m’accompagner jusqu’à Maupertuis pour raconter à ma chère épouse tout ce qui vient de se passer, je leur en serais le plus reconnaissant du monde. Couart et Belin, par exemple, me feraient une escorte à souhait. Ils sont sobres et doux, ne vivant que d’herbages, de fruits et de racines, il n’y a donc aucun danger qu’avec eux je me laisse tenter par la chair fraîche.
Ni le bélier ni le lièvre ne semblaient flattés de cette distinction : l’estime subite de Renart ne leur disait rien qui vaille. Mais Brichemer, le sénéchal, prononça avec autorité :
— Faites ce que Renart vous demande. »
Et ils obéirent…
Arrivés à Maupertuis, Renart dit à ses compagnons en leur montrant les prairies où s’épanouissaient des milliers de fleurettes.
« Ceci dépend de mes domaines ; je vous l’abandonne pour tout le temps qu’il vous plaira d’en jouir. Vous, pauvre Belin, quelle est votre pâture ordinaire ?... Les chaumes secs… l’herbe rare et courte de la lande,… voici qui vous changera agréablement. Quant à Couart, je veux que lui aussi se souvienne de sa réception à Maupertuis. J’ai en réserve des pommes bien mûres - de véritables Francatu qui, comme chacun le sait, sont les meilleures - ; je les mets à sa disposition, ainsi qu’un tas de carottes nouvelles, juteuses et fondantes… Allons, Belin, prenez vos ébats à loisir, et vous, Couart, venez goûter à mes carottes et à mes pommes. »
On entre à Maupertuis, où la tendre Hermeline pleurait déjà son époux qu’elle n’espérait plus revoir.
« Que vous est-il donc arrivé, mon doux seigneur !
— Ce serait bien long à vous raconter par le menu, ma très chère ; qu’il vous suffise de savoir que je suis rentré en grâce auprès du roi. Mais, à mon arrivée, je fus outragé, lapidé, honni par tous. Belin, lui-même, me cria des injures et Couart me jeta une noisette, dont je tiens à le remercier sur l’heure.
À ces mots, Couart, qui connaissait de réputation les procédés de Renart, se jugea perdu. Tremblant de tous ses membres, il cria aussi fort que le lui permettait sa voix débile.
— À moi, Belin ! Au secours ! »
Mais son appel demeura sans réponse. Un coup de dent de Renart, et Couart avait vécu.
Le couple le dégusta sur l’heure, fêtant ainsi une réunion sur laquelle il n’osait plus compter. Le petit Rovel suça les os avec délices.
Ils avaient à peine fini que l’on cogna à la porte.
« Couart, disait Belin, venez, mon cher ami ; il est temps de partir. La route est longue et je suis mauvais marcheur.
Ce fut Renart qui répondit :
— Laissez Couart, je vous prie, Belin, il est à la joie de son cœur. Après avoir renouvelé connaissance avec Hermeline qu’il fréquentait autrefois, voici qu’il joue au palet avec mon petit Rovel.
— Mais ne l’ai-je pas entendu appeler au secours, il y a un moment ? Ne lui aurait-on pas fait de mal ?
— Pas le moindre, Belin, vous pouvez être tranquille sur son sort, on n’a pas touché à un cheveu de sa tête. Voici ce qui est arrivé. Le bonheur inespéré de me revoir a fait que ma tendre Hermeline est tombée en pamoison sur le sol, il l’a crue morte et c’est alors qu’il a crié au secours ; mais quelques gouttes d’eau de Prague l’ont vite fait revenir à elle. Restez donc encore à brouter un peu de cette herbe fleurie que vous ne retrouverez pas de sitôt. »
Rentré au logis, Renart mit la tête de Couart dans un sac qu’il avait dérobé aux veneurs ; il en serra la courroie, en brouilla les nœuds, puis vint au mouton.
« Belin, lui dit-il d’un ton solennel, prenez cette besace ; elle contient des documents précieux au sujet du trésor. Portez-les au roi qui en sera très heureux. Vous pourrez lui dire, si vous le voulez, que vous avez pris une grande part à la rédaction des dits documents, il ne saura quelle fête vous faire.
— Je vous en suis bien obligé, Renart.
— Mais, prenez garde de déranger les nœuds ou de rompre les sceaux, le roi s’en apercevrait et vous seriez sévèrement châtié.
— Soyez sans crainte, je ne suis point curieux. Mais Couart ne s’apprête-t-il point à partir avec moi ?
— Non, Belin, laissez-le passer la nuit avec nous. Il a tant mangé de pommes et de carottes qu’il a besoin de repos. »
Un peu ennuyé par l’absence de son compagnon, Belin prit enfin congé
Il faisait grand jour, le lendemain, quand il se présenta devant Noble.
« Ha ! Belin, fit le roi, vous rentrez bien tard ; d’où venez-vous donc ?... Qu’avez-vous fait de Couart ?... Qu’est-ce que ce sac bizarre ?
— Sire, répondit Belin, conformément à la leçon que Renart lui avait faite, ce sac renferme des documents précieux au sujet du trésor, et j’ai pris une grande part à la rédaction des dits documents.
— Voyons donc ! fit la reine avec un empressement curieux.
Baucent, le chancelier, appelé pour rompre les sceaux, ouvrit le sac, et la tête du lièvre apparut.
— Ah ! Ah ! s’exclama le roi, voici des lettres singulières ! C’est la tête de Couart, nul ne saurait s’y tromper…
Belin tremblait, balbutiait, frémissait d’horreur à l’idée du crime auquel il avait été mêlé sans le savoir.
— Et vous avez encore l’audace de vous vanter d’avoir pris une grande part à ce meurtre !
— Sire, je… je…. ne…. je ne savais pas,… j’ai dit ce que Renart m’a… m’a ordonné de dire.
— Ah ! Renart, gronda le roi avec une indignation chagrine, faut-il que j’aie écouté vos impostures !... Voici Couart, mon fidèle et rapide courrier, victime de ma crédulité stupide !... Si jamais je vous tiens à ma disposition, je veux que vous soyez pendu haut et court, sans avoir le temps de prononcer une parole.
Puis, s’adressant à Brichemer :
— Sénéchal, ordonna-t-il, que l’on élargisse sur l’heure Brun et Ysengrin ; que l’on répare autant que possible le dommage que leur ont causé les calomnies de Renart.
La bonne foi du pauvre mouton semblait hors de doute. Pourtant Noble voulut qu’il fût puni pour l’exemple.
— Quant à Belin, complice, tout au moins par sa bêtise, de la mort de Couart, il les remplacera dans leur geôle.
Le roi se tourna ensuite vers le taureau.
— Vous, Bruyant, vous allez vous occuper de réunir une armée de braves et loyaux chevaliers, et tout aussitôt vous irez mettre le siège devant Maupertuis, vous combattrez Renart sans trêve ni merci, et la guerre ne se terminera que par la mort de notre ennemi à tous. J’ai dit.
— Oui, fit Cointereau avec sa plus belle grimace, il a dit. Mais il n’en sera ni plus ni moins, et Renart se moquera encore de lui. »
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