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Photo du rédacteurLucienne

Treizième aventure - Comment Renart fit rencontre de Noble le Roi et d’Ysengrin, et comment les deux barons se donnèrent le baiser de paix



Renart était un jour dans le bois à guetter les faisans, quand il vit venir de son côté Noble, le lion-roi, accompagné d’Ysengrin qui remplissait à la Cour les fonctions de connétable.

Tous deux marchaient du même pas et devisaient agréablement.

« Bienvenue soit l’illustre compagnie, fit-il en saluant très bas.

— C’est vous, Renart, dit le roi qui, sachant les mésaventures d’Ysengrin, ne pouvait s’empêcher de rire. Je vous souhaite bonne chance pour le malin tour que sûrement vous vous disposez à jouer.

— J’ai grand besoin de vos bons souhaits, Sire ; car depuis ce matin que je suis à la chasse, je n’ai encore rien pris pour ma chère Hermeline et mes bien-aimés petits Renarteaux. Aussi, permettez que je prenne congé pour continuer mes recherches,

— Du tout, Renart, insista le roi d’un ton enjoué, vous restez avec nous, et nous chasserons tous trois de compagnie. Ce n’est pas si souvent que l’on a la bonne fortune de cheminer avec un joyeux compère tel que vous.



— C’est bien de l’honneur pour moi, Sire, mais je comprends très bien que vous préfériez à la société du chétif baron que je suis, celle de vos grands vassaux : Brun, l’ours ; Baucent, le sanglier ; Rooniaus, le molosse, et Ysengrin que voici.

— Ah ! Renart, ce sont là de vos railleries habituelles.., Il me plaît à moi de vous admettre à ma chasse, demeurez donc.

— Sire, pardonnez-moi d’insister, mais je craindrais que ma présence ne courrouçât Ysengrin qui ne peut me souffrir, Dieu sait pourquoi ! Car je ne lui veux que du bien.

Le loup voulut protester, mais Noble s’interposa.

— Finissons-en avec ces malentendus, dit-il. Je ne veux plus entendre parler de querelles entre vous deux. Vous, Renart, tâchez de mettre un frein à vos facéties ; et vous, Ysengrin, ne vous fâchez plus pour quelques plaisanteries sans importance.

Ysengrin aurait volontiers ergoté sur l’importance des plaisanteries de Renart ; mais le roi commandait, il obéit, et les deux ennemis échangèrent le baiser de paix.

— Çà ! fait le lion, vous qui connaissez les bons endroits, Renart, ne pourriez-vous nous indiquer quelque champ, bocage, pâture, où nous rencontrerions une proie sérieuse ?

— Sire, je ne réponds de rien. Toutefois, je sais que, dans le creux d’un vallon proche d’ici, on amène quelquefois paître le bétail du hameau. Vous plairait-il d’y voir ?

— J’y consens.

Les voici donc tous trois en route ;… on débouche dans le vallon.

— Ah ! fait Ysengrin, je découvre une proie superbe : un taureau, une vache et leur petit. Il faudrait envoyer Renart en éclaireur de crainte que quelque paysan, quelque mâtin ne vienne mettre obstacle à nos projets.

— Vous avez raison, messire connétable ; Renart est fin et rusé, il reconnaîtra les lieux mieux que quiconque. »



Renart, aussitôt, de courir à travers champs pour arriver plus vite au but.

La proie est bien là, telle que l’a dit Ysengrin, et nul encombre.

Tout de même, à force de chercher, Renart découvre le pâtre qui se baigne dans un ruisseau clair bordé de roseaux fleuris.

Avant que le jeune paysan ait eu le temps de se reconnaître, Renart lui saute sur les épaules, le plonge, le replonge sous l’eau, lui faisant ainsi saluer les écrevisses du fond.



Le temps qu’il suffoque, puis qu’il s’ébroue, Noble et Ysengrin mettent à l’abri le butin qu’ils viennent de conquérir sans peine. Renart les rejoint, il est complimenté par le roi, puis on procède au partage.

— À vous, Connétable, de désigner les parts, ordonne le souverain.

— J’obéis, Monseigneur, puisque tel est votre bon plaisir. Voici donc ce qu’il m’en semble : le taureau, qui est la pièce principale, vous revient sans conteste. La génisse, grasse et bien en point, également. Pour moi, je me contenterai de ce tout petit veau. Quant au mauvais roux, l’honneur d’avoir chassé en notre compagnie doit lui suffire.

D’ailleurs, il n’est pas fou de cette sorte de viande. La chair de basse-cour convient mieux à son tempérament et est mieux appréciée de sa chère Hermeline et de ses bien-aimés petits Renarteaux. Ai-je bien dit, Monseigneur ?

Monseigneur répondit à Ysengrin par un formidable soufflet qui l’envoya rouler à dix pas.

— Vous n’entendez rien à faire les lots. J’aurais dû m’en douter, car vous avez l’esprit obtus.

— À vous, Renart, voyons si vous serez plus heureux.

Le goupil s’inclina.

— Vous êtes le maître, Sire, et vous pouvez tout prendre, si bon vous semble.

— Non, protesta Noble, j’entends que le partage soit conforme à l’équité, de façon à ce que personne n’ait le droit de se plaindre.

— Eh bien ! Donc, Sire, le taureau vous revient sans conteste, ainsi qu’Ysengrin l’a dit lui-même. La génisse, de chair plus délicate, sera pour Madame la reine. Ce veau, ce tout petit veau tendre à souhait, convient au prince royal, votre jeune fils qui, si je ne me trompe, n’a pas encore perdu ses dents de lait.

— Voilà qui est bien jugé, dit Noble, en posant familièrement sa patte puissante sur l’épaule de l’arbitre. Ah ! Maître Renart, vous êtes un subtil personnage ; vous comprenez ce que parler veut dire et vous profitez à merveille des sottises d’autrui. Bien fou celui qui mépriserait votre alliance. »

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