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Onzième aventure - De la chevauchée de Renart et de Tybert dans la maison d’un vilain, et comment Tybert y dut laisser sa queue en gage




Un matin, comme le jour venait de poindre, Frémont, la fourmi, Blanche, l’hermine, Jacquet, l’écureuil, et Tybert, le chat, se trouvaient réunis à la lisière d’un terrain en friche. Là, sur une large pierre plate, où les bergers jouaient à la marelle, les quatre compagnons devisaient le plus tranquillement du monde.

Tout en humant l’air pur de l’aube et en se rafraîchissant dans la rosée, ils causaient du beau temps qu’il faisait, des récoltes, qui étaient abondantes, des fruits qui mûrissaient, des nids qui étaient pleins de chansons, bref de tout ce qui peut intéresser les fourmis, les hermines, les écureuils et les chats.

À peu de distance, Renart qui avait passé la nuit dans un champ nouvellement moissonné, dormait encore étendu sur une gerbe.

Beaudoin, l’âne du meunier, fléchissant sous sa charge habituelle, vint à passer, d’abord près du champ où dormait Renart, puis près du terrain en friche. Du plus fort qu’il put, il cria aux quatre causeurs :



« Renart est là, tout près, dans les chaumes, sauvez-vous bien vite. »

Aussitôt, et sans prendre congé les uns des autres, Frémont rentre sous terre, Hermine s’enfonce dans les roseaux, Jacquet grimpe au plus haut d’un chêne, et Tybert, de son pied léger, file du côté des maisons.

Mais, au détour du sentier, il se trouve nez à nez avec Renart, que le braiement de Beaudoin avait éveillé et qui venait à l’enquête.

Son premier mouvement fut un mouvement de fuite ; mais la sente était étroite, Renart en occupait le milieu et ne semblait point disposé à céder le pas ; Tybert jugea prudent de se montrer diplomate.

« Je ne me trompe pas, fit-il de son ton le plus mielleux, c’est bien ce cher ami Renart.

— Eh ! Oui, Tybert, c’est bien moi, répondit l’autre en goguenardant ; où allez-vous donc de si grand matin ?

— J’étais précisément à votre recherche.

— Voyez comme cela se trouve ! Et que me vouliez- vous ?... Veniez-vous me proposer un marché d’andouille ?

— Ne me parlez plus de cette histoire, Renart, j’en ai tant de repentir. Je ne sais quel démon me tenta l’autre jour et je ferais tout au monde pour réparer le tort que je vous ai fait.

— Ah ! Ah ! fit Renart, d’autant plus arrogant que l’autre se montrait plus humble.

— Et je venais vous soumettre le plan d’une expédition dont le résultat est certain et dans laquelle il n’y a aucun risque à courir.

— De quoi s’agit-il ?... Faut-il aller bien loin ?

— Non, c’est à notre habitation même. Le maître est aux champs, la maîtresse est occupée à la lessive, et la servante vient de partir pour le marché, laissant, selon son habitude, toutes les portes ouvertes. On entre chez nous comme on entre au moulin. Or, je sais que dans la huche se trouve un grand pot plein de lait, et quel lait, Renart ! Blanc, épais, crémeux ! Voulez-vous tenter l’aventure ?

Renart plissa les yeux de convoitise. Le lait était son régal et l’occasion était rare.

— Ensuite, poursuivit le chat afin de corser sa proposition, rien ne vous empêchera de faire un tour au poulailler ; vous y choisirez un beau chapon que vous rapporterez à Hermeline. Est-ce dit ?

— C’est dit, fait Renart chez qui la gourmandise l’emporte sur la méfiance.

Arrivé à l’habitation, le chat qui, se sentant chez lui, a repris toute son assurance, fait les honneurs, montre le chemin et, une fois à la huche :

— Soulevez le couvercle, dit-il, que j’entre le premier pour voir s’il n’y aurait pas quelque attrape. »

Renart fait ce qu’on lui ordonne. Tybert, avec mille précautions, passe la tête, puis le corps, puis la queue, une queue superbe, longue, fournie, soyeuse, la plus belle des alentours, et dont il est très fier.

Il appuie ses pattes de devant sur le rebord du pot et lape avec recueillement le bon lait mousseux.



Renart, qui soutenait le pesant couvercle, était haletant de convoitise à voir le chat se délecter ainsi.

« Ah ! Tybert, murmurait-il, m’est avis que vous vous trouvez bien où vous êtes. En aurez-vous bientôt à votre suffisance ?... Le couvercle est lourd et je meurs de soif.

Tybert ne se donne pas la peine de répondre.

Il hume, se pourlèche, prend son temps, au grand dam de Renart qui poursuit sa supplique.

— Hâtez-vous, beau cousin, ou je lâche le couvercle. Je suis à bout de forces. »



Quand Tybert en a jusqu’aux babines, il consent à quitter la place ; mais en partant, soit malice, soit maladresse, il culbute le pot, et le restant du lait est répandu.

Renart étouffe l’exclamation de colère qui lui monte à la gorge ; mais il calcule ses mouvements avec tant de précision que le couvercle de la huche retombe à la minute exacte où la queue de Tybert est au passage, et que le bout de cette remarquable queue est coupé net.

Quelle aventure !

Dressé sur ses quatre pieds, le dos bombé, l’œil flamboyant, Tybert hurle de douleur et de rage.

« Ah ! méchant drôle ! Ce sont bien là de vos coups !

— De quoi m’accusez-vous donc, Tybert ? fait l’autre très tranquille. Est-ce ma faute si vous avez sauté au mauvais moment ? J’étais si las que le couvercle m’a échappé.

— Ma queue ! gémissait le chat, ma pauvre queue ! La voilà détériorée, perdue !

— Mais non, mais non, dit Renart l’air bon enfant, elle n’est pas perdue parce qu’il y manque un bout. Qu’en faisiez-vous de ce bout ?... à quoi vous servait-il ?... à ramasser la poussière quand il faisait beau, et la crotte quand il pleuvait. C’est un poids de moins à traîner ; vous n’en serez que plus alerte. Je voudrais bien qu’il m’en arrivât autant.

— Taisez-vous, maudit railleur. Et pour aujourd’hui ne comptez pas sur le moindre chapon, car je vais avertir les chiens.

— Ce sera donc pour une autre fois, Tybert. Au revoir, beau cousin.

— Oui, au revoir ; car nous nous reverrons, à la cour du roi.



 


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