À la fourche d’un hêtre, la mésange avait posé son nid. Quatre oiselets y étaient éclos et commençaient à pépier. Encore quelques jours et ils allaient prendre leur vol.
La mère courait de-çà, de-là, pour leur trouver pâture, quand elle aperçut Renart.
D’un coup d’aile, la voilà hors d’atteinte.
« Là ! Là ! Ma commère, que vous prend-il donc ?... Pourquoi cette fuite rapide ?...
— Renart, je ne suis pas votre commère.
— Vous fais-je donc insulte en vous nommant ainsi ?...
— D’abord, vous mentez, sans doute pour n’en pas perdre l’habitude. Et puis je serais bien fâchée d’être la commère d’un mauvais garçon tel que vous.
— Bon ! Jolie mésange, vous n’êtes pas dans vos lunes de courtoisie, il faut en prendre son parti.
— Et d’abord, que faites-vous dans ces parages, si éloignés de votre domaine ?
— Je venais vous faire une visite et vous apporter une bonne nouvelle.
— Laquelle, Renart ?
— La paix générale est signée !
— Je le sais. Chanteclerc, à qui vous l’annonçâtes l’autre jour, s’empressa de m’en faire part.
Au nom de Chanteclerc qui l’avait berné, Renart fit la grimace, mais il ne laissa pas voir son ennui et il ajouta :
— Plaise à Dieu qu’elle dure longtemps !
— C’est en effet très désirable. Allons, Renart, laissez-moi le terrain libre, que je puisse trouver pâture pour mes petits.
— Est-ce donc que je vous en empêche ?
— Vous m’empêchez de descendre à terre pour chercher les vers et les insectes dont ils ont besoin.
— Vous fais-je peur ?...
— Sans doute.
— Mais puisque la paix est jurée.
— Je ne m’y fie point. Renart, vous feriez sagement de retourner à Maupertuis, où cette Hermeline bien-aimée se languit en votre absence.
— Je ne partirai pas sans avoir échangé avec vous le baiser de paix.
— Nenni.
— La cause ?...
— Il court de mauvais bruits à votre sujet. Tenez, rien que vos yeux me font peur.
— N’est-ce que cela ?... Je vais les fermer.
— Est-ce bien sûr ?...
— Voyez plutôt.
— Bon, je descends. Mais faites bien attention à ne pas les rouvrir.
— Je n’aurai garde.
La rusée mésange prend un brin de mousse dans son bec et, bien doucement, vient en caresser la moustache de Renart.
Lui, tout aussitôt, ouvre les mâchoires et fait un bond en avant. Mais prrrt ! La mésange s’est envolée.
— Là ! Voyez-vous ce bel ambassadeur de paix. S’il n’avait tenu qu’à vous, le traité serait déjà rompu.
— Eh ! fait Renart, c’était pour rire. Je voulais voir si vous étiez peureuse.
— Bien sûr !
— Allons ! Recommençons. Me voici les yeux fermés.
— À d’autres !
— Vous supposez donc quelque piège caché ?... C’était bon avant la paix jurée.
Mais Renart a beau prêcher, la mésange ne bouge plus de son hêtre, d’où elle nargue le trompeur.
Soudain, on entend un aboiement formidable.
— Ce sont les braconniers, fait la mésange, attendez-les ; vous pourrez donner le baiser de paix à leurs mâtins ; ils vous en sauront le meilleur gré du monde.
Renart ne répond pas. La queue entre les jambes, les oreilles dressées, il inspecte l’horizon pour orienter sa fuite.
— Que craignez-vous donc ? insiste l’oiseau avec le plus grand sérieux, puisque la paix est jurée.
— Oui, mais j’ai peur qu’ils n’en soient pas avertis.
On entendait tout proche les cris poussés par les braconniers.
— Au goupil ! Au goupil ! Haro sur le goupil ! »
Renart alors part comme un trait d’arbalète. Mais il est poursuivi par la meute qui lui fait une chasse obstinée.
Il lui fallut courir, sauter, ramper, traverser des buissons d’épines où il laissa des lambeaux de sa fourrure, franchir des fossés boueux où il faillit se noyer ; et c’est rendu de fatigue, le ventre creux et l’esprit morose, qu’il rentra le soir à Maupertuis.
La fidèle Hermeline l’accueillit avec une grande compassion.
« Que vous est-il arrivé, mon cher seigneur, pour être ainsi réduit ?
— La faute en est à une mauvaise petite mésange à qui je venais apporter des paroles de paix. Voyez un peu ce qu’il en coûte de vouloir faire le bien. Ah, très chère, que la vertu est mal récompensée ! »
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