top of page
Photo du rédacteurLucienne

Quatrième aventure - Comment Ysengrin fut poliment débouté de sa supplique


Sans perdre de temps, Renart gagna Maupertuis, où Hermeline et ses enfants l’accueillirent avec tout le respect qui lui était dû, et la joie que leur causait son heureuse aubaine.

On écorche les anguilles, on les coupe en tronçons, on les assaisonne à point, on les met cuire, et, portes closes pour se tenir à l’abri du froid - et aussi des indiscrets -, toute la famille se met à table.




Mais la saison n’était pas plus favorable aux loups qu’aux goupils ; et Ysengrin, lui aussi, faisait carême. Comme il rôdait dans les parages de Maupertuis en quête d’un gibier sur lequel il ne comptait guère, il flaire la bonne cuisine de Renart.

Toc ! Toc !

Personne ne répond.

Toc ! Toc ! Toc !

Même silence.

Pan ! Pan ! Pan !

Les coups, cette fois plus forts et plus rapprochés, décident Renart à donner signe de vie. À une toute petite lucarne, il montre le bout de son nez.



« Qui est là ?

— Moi.

— Qui, moi ? Il y a beaucoup de moi en ce bas monde : exactement autant que de gens.

— Ysengrin.

— Ah ! Excusez, mon oncle, je vous prenais pour un larron.

— Fâcheuse méprise ! Ouvrez-moi donc, beau neveu. Je suis porteur de nouvelles intéressantes, que je vous conterai tout en partageant votre repas.

— Ah ! Vous venez donc en mendiant ?

— Non certes ! Mais en porteur de nouvelles.

— C’est que j’ai des hôtes de conséquence, et je ne puis les déranger.

— Quels sont-ils ? Renart.

— Allez toujours ! De ceux qu’on ne saurait déranger, vous dis-je. Au revoir donc !

— Écoutez, beau neveu, insiste Ysengrin, d’un ton de supplique, j’aime mieux tout vous avouer. J’étais venu céans pour quérir une bouchée de n’importe quoi. Et aussi pour vous prier de m’héberger cette nuit. La chasse  une chasse bien inutile  m’a poussé loin de chez moi, et, tel que vous me voyez, je suis sans gîte et sans pain.

— Que ne le disiez-vous plus tôt, mon oncle, je vous aurais secouru sans tant de paroles. Pensez-vous que j’aie oublié cette petite rate que vous m’offrîtes de si bon cœur, le jour où, moi aussi, j’étais affamé ?

Renart disparut une seconde, puis revint à la lucarne avec un menu tronçon d’anguille.




— Voilà ce que mes hôtes vous envoient. Oh ! Ne vous excusez pas, mon oncle, c’est un tout petit morceau.

Effectivement, il était si petit qu’Ysengrin n’en fit qu’une bouchée.

— Le mets est-il bon ?

— Le meilleur du monde ; mais il est un peu court, ne pourrais-je en avoir encore un peu ?

— Y pensez-vous, mon oncle ? Je n’en ai que tout juste, et mes convives ne sont pas de ceux à qui l’on peut faire affront. Vous ne m’en voudrez pas, je suis sûr. Le don vaut quelque chose, mais l’intention vaut davantage. La rate que Dame Hersent me fit cuire l’autre jour était toute petite ; néanmoins je vous en eus la plus vive reconnaissance. »



Ysengrin n’était pas sûr que Renart ne se moquât point de lui ; mais il n’en voulut rien laisser paraître. L’hiver n’était pas fini, la disette non plus ; Renart avait de bonnes inventions dont on pouvait profiter à l’occasion ; il était donc prudent de le ménager.



Comentarios


bottom of page