Ulysse arrive chez les Lestrigons, de terribles Géants. Tous ses compagnons font entrer leurs vaisseaux dans une baie qui semblait accueillante et sûre. Seul, Ulysse, méfiant, laisse son navire hors de la baie, amarré à un rocher.
Six jours et six nuits, nous avons vogué, découragés. Le septième jour, se sont déployées à nos yeux les immenses portes de la ville des Lestrygons. Nous approchions d’un admirable port, formé par deux vastes rochers qui s’avançaient dans la mer, et qui, courbés l’un vers l’autre, ne laissaient entre eux qu’un étroit passage.
Derrière ce rocher, s’ouvrait une large et profonde baie protégée de toutes parts et facilement accessible aux vaisseaux. Tous mes compagnons firent entrer les leurs dans cette baie si commode et si sûre. Seul, j’éprouvai de la défiance et refusai d’entrer dans le port. Je liai, en dehors, mon navire à un rocher, au haut duquel je montai ensuite.
Laissant errer au loin mes regards sur tous les environs, je n’aperçus aucun vestige d’homme, ni aucune trace de culture. Je vis seulement s’élever dans les airs des tourbillons de fumée. J’ordonnai à deux des miens, auxquels j’associai un héraut sacré, de pénétrer dans le pays pour savoir quel peuple l’habitait.
Ils suivirent, pour se rendre à la ville, la trace des chars qui y transportaient le bois du haut des montagnes. Un peu avant d’arriver, ils rencontrèrent, près de la fontaine Artacie, la fille d’Antiphate, roi des Lestrygons, qui, l’urne à la main, venait puiser de l’eau dans cette fontaine ouverte à tous les citoyens.
Ils demandèrent à cette jeune fille le nom de ce peuple et celui de leur roi. Elle leur montra un palais d’une prodigieuse hauteur : c’était celui de son père. Ils y entrèrent, et la première chose qui frappa leurs regards fut la reine elle-même. À son aspect, ils furent saisis d’horreur. Sa taille et sa stature la faisaient ressembler à une montagne.
Elle appela son mari qui, dans ce moment, était au Conseil. Il parut, et, saisissant l’un des miens, le dévora. Les deux autres prirent la fuite précipitamment. Le monstre, frustré de la fuite de sa proie, sortit, et, d’une voix terrible, fit un appel qui retentit dans la ville entière.
Les Lestrygons accoururent, de toutes parts, en foule innombrable. Descendant de leurs montagnes, ces géants, qui ne ressemblaient point à la race ordinaire des hommes, rassemblés partout sur le rivage, firent pleuvoir sur nous des masses de rochers. Notre flotte, emprisonnée dans cette baie funeste, fut écrasée.
Les Lestrygons, fresque romaine
Les cris lamentables de mes compagnons, le craquement des vaisseaux fracassés, formèrent un tumulte effroyable. Ajoutez le spectacle navrant de bon nombre des miens suspendus aux longues lances de l’ennemi, qui les enlevaient comme on ravit aux eaux leurs habitants pour en faire sa pitance. Pendant que ces horribles scènes se passaient dans le port, je coupai, à l’aide de mon épée, le câble qui liait mon navire au rocher, et j’avivai les miens à se courber sur leurs rames pour fuir au plus vite. Nous eûmes l’heureuse chance de gagner la pleine mer, sans être atteints par aucun de ces rochers. Mais, hélas ! , tout le reste de mes compagnons et de mes vaisseaux, sans qu’il s’en échappe un seul, furent ensevelis dans ce funeste port.
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