Une tempête jette les navires sur la côte des Lotophages, les mangeurs de lotus. Un charme inattendu envoûte les compagnons d’Ulysse.
Le troisième jour, les vents étant favorables, nous avons relevé les mâts, déployé les voiles et repris notre route. Tout me promettait un heureux retour dans ma patrie. Nous tournions déjà le cap Malée, quand tout à coup, s’éleva un vent impétueux qui nous entraîna et nous jeta loin de notre route. Durant neuf jours entiers, nous fûmes le jouet de l’aquilon [1].
Enfin, nous abordâmes à la terre des mangeurs de lotus. Descendus sur le rivage, nous avons pris un repas à la hâte, sans oser nous écarter de la flotte. J’envoyai ensuite deux de mes compagnons les plus hardis, accompagnés d’un héraut, reconnaître le pays et l’espèce d’hommes qui l’habitaient.
Ils partirent et pénétrèrent chez les mangeurs de lotus, peuple tranquille et doux, qui ne leur tendit aucun piège. Il leur présenta à manger la fleur de lotus, dont il fait ses délices. Mais aussitôt que mes guerriers eurent goûté de cette fleur, aussi douce que le miel, au lieu de remplir leur mission et de revenir m’en rendre compte, ils restèrent chez ce peuple qu’ils ne voulurent plus quitter. Savourer la fleur de lotus était pour eux le bonheur suprême. Ils avaient oublié jusqu’au nom de leur patrie.
Je les arrachai à cette terre, malgré leurs larmes, et les entraînai vers la flotte, en les y retenant par des liens. J’ordonnai ensuite à tous mes compagnons de rentrer dans nos vaisseaux, avant qu’aucun d’eux n’ait mangé de la fleur de lotus. En un moment, ils eurent embarqué, et, rangés sur leurs bancs, frappèrent la mer de l’aviron.
Nous nous éloignâmes de cette côte, le cœur plein de tristesse, pour errer au hasard sur des mers et vers des plages inconnues.
[1] Vent du nord, froid et violent.
Ulysse arrachant ses hommes des mains des Lotophages, par Theodor van Thulden
Comments