Texte intégral, adaptation personnelle
Illustré par Thomas Blakeley Mackenzie
Le lendemain matin, quand le sultan vint de bonne heure, selon sa coutume, pour admirer le palais d’Aladin, il fut on ne peut plus surpris de ne le trouver nulle part. Il ne pouvait comprendre comment un palais si vaste, qu’il voyait tous les jours depuis des années, avait pu disparaître si vite sans laisser la moindre trace. Très perplexe, il envoya chercher le grand vizir.
Le grand vizir, qui n’e voulait aucun bien à Aladin, dit qu’il soupçonnait fort celui-ci d’avoir fait construire son palais par magie, et d’avoir prétexté une partie de chasse pour le faire disparaître aussi vite qu’il l’avait fait élever. Il conseilla au sultan de faire arrêter Aladin comme prisonnier d’État. Quand son gendre lui fut amené, il ne voulut pas lui permettre de dire un mot, et ordonna qu’il fût mis à mort. Mais cet ordre mécontenta le peuple, dont Aladin s’était assuré l’affection par ses libéralités, si bien que le sultan, craignant une insurrection, fut obligé de lui faire grâce de la vie.
Quand Aladin se vit en liberté, il s’adressa de nouveau au sultan :
« Sire, je vous en prie, faites-moi connaître le crime qui m’a ainsi fait perdre votre faveur.
— Ton crime, misérable, répondit le sultan, ne le connais-tu pas ? Suis-moi, et tu verras. »
Le sultan mena Aladin dans la salle d’où il avait l’habitude d’admirer son palais, et dit :
— Tu dois savoir où était ton palais ; regarde, et dis-moi ce qu’il est devenu. »
Aladin regarda, et fut tellement stupéfait qu’il ne put prononcer une parole. Enfin, recouvrant ses esprits :
« C’est vrai, dit-il, je ne vois plus le palais. Il a disparu. Mais je ne suis pour rien dans sa disparition. Donnez-moi quarante jours, et si, à l’expiration de ce délai, je ne l’ai pas retrouvé, je vous offrirai ma tête pour en disposer selon votre bon plaisir. »
— Je te donne le temps que tu demandes, mais n’oublie pas de te présenter devant moi au bout des quarante jours. »
Aladin sortit du palais, très humilié. Les seigneurs qui l’avaient courtisé au temps de sa splendeur, ne voulaient plus avoir aucun rapport avec lui. Pendant trois jours il erra par la ville, excitant l’étonnement et la pitié de la foule, demandant à tous s’ils avaient vu son palais, ou s’ils pouvaient lui en donner quelque nouvelle. Le troisième jour, il erra à travers la campagne. Comme il approchait d’une rivière, il tomba sur le bord avec une telle violence qu’en voulant se retenir il frotta contre un rocher la bague que le magicien lui avait donnée. Aussitôt, apparut le génie qu’il avait vu dans la caverne où le magicien l’avait abandonné.
« Que veux-tu ? dit le génie. Je suis prêt à t’obéir comme ton esclave et l’esclave de tous ceux qui portent cette bague à leur doigt ; moi, et tous les autres esclaves de la bague. »
Aladin fut agréablement surpris. Aussi répliqua-t-il :
« Génie, montre-moi où se trouve le palais que j’ai fait construire, ou rapporte-le où il se trouvait.
— Il n’est pas dans mon pouvoir d’accomplir ton ordre, répondit le génie. Je ne suis que l’esclave de l’anneau, je ne suis pas celui de la lampe.
— Je t’ordonne alors, dit Aladin, par la puissance de l’anneau, de me transporter là où se trouve mon palais. »
Il n’eut pas plus tôt prononcé ces paroles, que le génie le transporta où était le palais, non loin d’une ville, et le plaça sous la fenêtre même de la chambre de la princesse.
Or, il arriva qu’une des suivantes de la princesse se mit à la fenêtre peu de temps après, et, ayant aperçu Aladin, elle courut avertir sa maîtresse.
La princesse, qui ne pouvait croire cette heureuse nouvelle, alla bien vite à la fenêtre, et, voyant son époux, ouvrit immédiatement.
« Afin de ne pas perdre de temps, lui dit-elle, je viens d’envoyer ouvrir la petite porte. Entrez vite, et montez. »
La petite porte, qui se trouvait immédiatement au-dessous des appartements de la princesse, fut bientôt ouverte, et Aladin monta dans la chambre. Il est impossible d’exprimer la joie des deux époux à se retrouver après une si cruelle séparation. Après s’être embrassés et avoir versé des larmes de joie, ils s’assirent, et Aladin dit à la princesse :
« Voulez-vous me dire ce qu’est devenue une vieille lampe qui se trouvait sur une étagère dans mon cabinet de toilette.
— Hélas ! Je craignais que tout notre malheur ne vînt de cette lampe ; et, ce qui me peine le plus, c’est que c’est moi qui en ai été la cause. J’ai été assez sotte pour échanger cette vieille lampe contre une neuve. Le lendemain matin, je me suis trouvée dans ce pays inconnu, qu’on me dit être en Afrique. »
— Princesse, dit Aladin en l’interrompant, vous m’avez tout expliqué en me disant que nous sommes en Afrique. Je désire seulement que vous me disiez si vous savez où est maintenant cette vieille lampe.
— Le magicien africain la porte précieusement sur sa poitrine, dit la princesse ; je puis vous l’affirmer, car il l’a tirée de sa cachette devant moi et me l’a montrée en triomphe.
— Princesse, dit Aladin, je crois que j’ai trouvé le moyen de vous délivrer et de rentrer en possession de la lampe, dont dépend toute notre prospérité. Afin de pouvoir mettre mon projet à exécution, il est nécessaire que j’aille à la ville. Je reviendrai à midi, et vous dirai alors ce qu’il vous faudra faire pour assurer le succès de mon entreprise. En attendant, je vais me déguiser et je vous prie d’ordonner que la porte me soit ouverte au premier appel. »
Dès qu’Aladin fut sorti du palais, il regarda de tous côtés autour de lui, et, apercevant un paysan qui se rendait dans les champs, il courut à lui, et lui proposa d’échanger leurs vêtements. L’homme y consentit, et, quand ce fut fait, il alla à ses affaires, et Aladin entra dans la ville. Il parcourut plusieurs rues, et arriva dans cette partie de la ville où les marchands et les artisans avaient leurs rues respectives, chacun suivant son métier. Il alla dans la rue des droguistes, et demanda à un droguiste s’il avait une certaine poudre qu’il lui nomma. L’homme, jugeant à ses habits qu’Aladin devait être très pauvre, lui dit qu’il en avait, mais que c’était fort cher. Alors Aladin tira sa de l’or de sa poche, et lui mit les pièces dans la main. Puis il retourna en hâte au palais où il fut introduit immédiatement par la petite porte Quand il fut entré chez la princesse :
« Princesse, lui dit-il, il vous faut vaincre l’aversion que vous inspire le magicien, le traiter amicalement, et le prier de vous faire la faveur d’assister à un festin chez vous. Avant son départ, priez-le d’échanger sa coupe avec vous. Flatté de cet honneur, il acceptera avec joie. Donnez-lui alors la coupe qui contiendra cette poudre. Dès qu’il aura bu, il s’endormira d’un profond sommeil, et nous prendrons la lampe, dont les esclaves exécuteront tous nos ordres, et nous transporteront de nouveau, nous et le palais, dans la capitale de la Chine. »
La princesse suivit exactement les instructions de son mari. Quand le magicien tomba inanimé sur le divan, la porte s’ouvrit, et Aladin entra. La princesse se leva et courut, ravie, à sa rencontre pour l’embrasser, mais il l’arrêta et lui dit :
— Princesse, retirez-vous dans vos appartements, et qu’on me laisse seul pendant que je vais m’efforcer de vous transporter en Chine, aussi vite que vous en avez été enlevée. »
Quand la princesse eut quitté la salle, suivie de ses femmes, Aladin ferma la porte, et, allant tout droit au corps du magicien, ouvrit sa veste, prit la lampe, la frotta, et aussitôt le génie parut.
« Génie, dit Aladin, je t’ordonne de transporter à l’instant ce palais à sa première place. »
Le génie baissa la tête en signe d’obéissance, disparut, et aussitôt le palais se trouva transporté en Chine, sans qu’il y eût autre chose que deux petites secousses, l’une quand on le souleva, l’autre quand il fut posé à terre, et toutes deux très rapprochées.
Le lendemain du jour où le palais d’Aladin fut remis à sa place, le sultan, qui regardait par la fenêtre, et se lamentait sur le sort de sa fille, vit le palais. Sa douleur fit place à la joie. Il fit seller un cheval, et partit aussitôt, trouvant qu’il n’arriverait jamais assez vite.
Ce matin-là, Aladin se leva à l’aube, se rendit au pied du grand escalier pour le recevoir et l’aider à descendre de cheval. Il conduisit le sultan auprès de la princesse ; l’heureux père l’embrassa avec des larmes de joie. Ils s’expliquèrent mutuellement tout ce qui s’était passé. Le sultan rendit à Aladin toute sa confiance, et lui exprima ses regrets de la rudesse apparente avec laquelle il l’avait traité.
« Mon fils, lui dit-il, ne me gardez pas rancune de ma façon d’agir envers vous : mon amour paternel fut cause de tout ; pardonnez-moi donc.
— Sire, répondit Aladin. Je n’ai aucune raison de me plaindre de votre conduite, puisque vous n’avez fait que ce que vous commandait votre devoir. Cet infâme magicien, le plus vil des hommes, fut la seule cause de notre malheur. »
Quelques années plus tard, le sultan mourut, à un âge très avancé, et, comme il ne laissait pas d’enfant mâle, la princesse Badroulboudour lui succéda. Elle et Aladin régnèrent ensemble de longues années, et laissèrent une famille nombreuse et illustre.
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