Texte intégral, adaptation personnelle
Illustré par un artiste talentueux très peu connu, Thomas Blakeley Mackenzie
Présentation :
Aladin ou la lampe merveilleuse appartient au recueil de contes Les Mille et Une Nuits. Elle a été traduite en de nombreuses langues et a inspiré beaucoup de cinéastes. À l'origine, l'action se déroule en Chine, bien que certaines adaptations la font se dérouler plutôt au Moyen-Orient.
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Dans la capitale d’un royaume de la Chine, très riche et d’une vaste étendue, vivait un tailleur nommé Mustafa, sans autre distinction que celle que sa profession lui donnait. Mustafa le tailleur était fort pauvre, et son travail lui produisait à peine de quoi le faire subsister lui et sa femme, et un fils que Dieu leur avait donné.
Le fils qui se nommait Aladin, avait été élevé d’une manière tout à fait négligée, et qui lui avait fait contracter des inclinations vicieuses. Il était méchant, opiniâtre, et désobéissait à son père et à sa mère. Sitôt qu’il fut un peu grand, ses parents ne le purent retenir à la maison. Il sortait dès le matin, et il passait les journées à jouer dans les rues et dans les places publiques, avec de petits vagabonds qui étaient même au-dessous de son âge.
Dès qu’il fut en âge d’apprendre un métier, son père, qui n’était pas en état de lui en faire apprendre un autre que le sien, le prit dans sa boutique, et commença à lui montrer de quelle manière il devait manier l’aiguille. Mais ni par douceur, ni par crainte d’aucun châtiment, il ne fut pas possible au père de fixer l’esprit volage de son fils : il ne put le contraindre à se contenir, et à demeurer assidu et attaché au travail, comme il le souhaitait. Sitôt que Mustafa avait le dos tourné, Aladin s’échappait, et il ne revenait plus de tout le jour. Le père le châtiait, mais Aladin était incorrigible, et à son grand regret, Mustafa fut obligé de l’abandonner à son libertinage. Cela lui fit beaucoup de peine. Le chagrin de ne pouvoir faire rentrer ce fils dans son devoir lui causa une maladie si opiniâtre, qu’il en mourut au bout de quelques mois.
La mère d’Aladin qui vit que son fils ne prenait pas le chemin d’apprendre le métier de son père, ferma la boutique, et vendit tous les ustensiles de son métier, pour l’aider à subsister, elle et son fils, avec le peu qu’elle pourrait gagner à filer du coton.
Aladin qui n’était plus retenu par la crainte d’un père, et qui se souciait si peu de sa mère qu’il avait même la hardiesse de la menacer à la moindre remontrance qu’elle lui faisait, s’abandonna alors à un plein libertinage. Il fréquentait de plus en plus les enfants de son âge, et ne cessait de jouer avec eux avec encore plus de passion qu’auparavant. Il continua ce train de vie jusqu’à l’âge de quinze ans, sans aucune ouverture d’esprit pour quoi que ce soit, ni réflexion sur ce qu’il pourrait devenir un jour. Il était dans cette situation, lorsqu’un jour, alors qu’il jouait au milieu d’une place avec une troupe de vagabonds, un étranger qui passait par là, s’arrêta pour le regarder.
Cet étranger était un magicien remarquable, que les auteurs qui ont écrit cette histoire nous font connaître sous le nom de magicien africain : c’est ainsi que nous l’appellerons, d’autant plus volontiers, qu’il était véritablement d’Afrique, et qu’il n’était arrivé que depuis deux jours.
Le magicien africain, qui s’y connaissait en physionomie, avait peut-être remarqué dans le visage d’Aladin tout ce qui était absolument nécessaire pour l’exécution de ce qui avait fait l’objet de son voyage. Ou alors, il s’était informé adroitement de sa famille, et de ses habitudes. Quand il fut instruit de tout ce qu’il souhaitait, il s’approcha du jeune homme, et en le tirant à part à quelques pas de ses camarades :
« Mon fils, lui demanda-t-il, votre père ne s’appelle-t-il pas Mustafa le tailleur ?
— Oui, monsieur, répondit Aladin. Mais il y a longtemps qu’il est mort. »
À ces paroles, le magicien africain se jeta au cou d’Aladin, et l’embrassa plusieurs fois, les larmes aux yeux, accompagnées de soupirs. Aladin qui remarqua ses larmes, lui demanda quel sujet il avait de pleurer.
« Ah, mon fils ! s’écria le magicien africain, comment pourrais-je m’en empêcher ? Je suis votre oncle, et votre père était mon bon frère. Il y a plusieurs années que je suis en voyage. Et au moment où j’arrive ici, avec l’espérance de le revoir, vous m’apprenez qu’il est mort ! Mais ce qui soulage un peu mon affliction, c’est que, autant que je puis m’en souvenir, je reconnais ses traits sur votre visage, et je vois que je ne me suis pas trompé en m’adressant à vous. »
Il demanda à Aladin, en mettant la main à la bourse, où demeurait sa mère. Aussitôt Aladin satisfit à sa demande, et le magicien africain lui donna en même temps une poignée de menue monnaie, en lui disant :
« Mon fils, allez trouver votre mère, faites-lui bien mes compliments, et dites-lui que j’irai la voir demain, si le temps me le permet, pour me donner la consolation de voir le lieu où mon bon frère a vécu si longtemps, et où il a fini ses jours. »
Dès que le magicien africain eut laissé le neveu qu’il venait de se faire lui-même, Aladin courut chez sa mère, bien joyeux de l’argent que son oncle venait de lui donner.
« Ma mère, lui dit-il en arrivant, je vous prie de me dire si j’ai un oncle.
— Non, mon fils, lui répondit la mère, vous n’avez point d’oncle du côté de feu votre père ni du mien.
— Je viens cependant, reprit Aladin, de voir un homme qui se dit mon oncle du côté de mon père, puisqu’il était son frère, à ce qu’il m’a assuré. Il s’est même mis à pleurer et à m’embrasser quand je lui ai dit que mon père était mort. Et pour preuve que je dis la vérité, ajouta-t-il en lui montrant la monnaie qu’il avait reçue, voilà ce qu’il m’a donné. Il m’a aussi chargé de vous saluer de sa part, et de vous dire que demain, s’il en a le temps, il viendra vous saluer, pour voir en même temps la maison où mon père a vécu, et où il est mort.
— Mon fils, repartit la mère, il est vrai que votre père avait un frère, mais il y a longtemps qu’il est mort, et je ne lui ai jamais entendu dire qu’il en eût un autre. » Ils n’en dirent pas davantage au sujet du magicien africain.
Le lendemain, le magicien aborda Aladin une seconde fois, alors qu’il jouait dans un autre endroit de la ville avec d’autres enfants. Il l’embrassa, comme il avait fait le jour précédent, et en lui mettant deux pièces d’or dans la main, il lui dit :
« Mon fils, portez cela à votre mère, et dites-lui que j’irai la voir ce soir et qu’elle achète de quoi souper, afin que nous mangions ensemble. Mais auparavant, indiquez-moi où je trouverai la maison. »
Il la lui montra, et le magicien africain le laissa aller.
Aladin porta les deux pièces d’or à sa mère. Dès qu’il lui eut dit qu’elle était l’intention de son oncle, elle sortit pour les aller employer, et revint avec de bonnes provisions. Comme elle était dépourvue d’une bonne partie de la vaisselle dont elle avait besoin, elle alla en emprunter chez ses voisins. Elle employa toute la journée à préparer le souper, et sur le soir, dès que tout fut prêt, elle dit à Aladin :
« Mon fils, votre oncle ne sait peut-être pas où est notre maison. Allez au-devant de lui et l’amenez, si vous le voyez. »
Quoiqu’Aladin eût montré la maison au magicien africain, il était prêt néanmoins à sortir quand on frappa à la porte. Aladin ouvrit, et il reconnut le magicien africain, qui entra chargé de bouteilles de vin et de plusieurs sortes de fruits qu’il apportait pour le souper.
Après que le magicien africain eut mis ce qu’il apportait entre les mains d’Aladin, il salua sa mère et il la pria de lui montrer la place où son frère Mustafa avait coutume de s’asseoir sur le sofa. Elle la lui montra, et aussitôt il se prosterna, embrassa cette place plusieurs fois les larmes aux jeux, en s’écriant :
« Mon pauvre frère, que je suis malheureux de n’être pas arrivé assez à temps pour vous embrasser encore une fois avant votre mort ! »
Quand le magicien africain se fut assis, il commença ainsi la conversation :
« Ma bonne sœur, lui disait-il, ne vous étonnez point de ne m’avoir pas vu tout le temps que vous avez été mariée avec mon frère Mustafa, d’heureuse mémoire. Il y a quarante ans que je suis sorti de ce pays, qui est le mien aussi bien que celui de feu mon frère. Depuis ce temps-là, après avoir voyagé dans les Indes, dans la Perse, dans l’Arabie, dans la Syrie, en Égypte, et séjourné dans les plus belles villes de ces pays-là, je passai en Afrique, où j’ai fait un plus long séjour. À la fin, comme il est naturel à l’homme, quelque éloigné qu’il soit du pays de sa naissance, de n’en perdre jamais la mémoire, non plus que de ses parents et de ceux avec qui il a été élevé, il m’a pris un désir si profond de revoir le mien et de venir embrasser mon cher frère, pendant que je me sentais encore assez de force et de courage pour entreprendre un si long voyage, que je n’ai pas différé à faire mes préparatifs, et à me mettre en chemin. Je ne vous dis rien de la longueur du temps que j’y ai mis, de tous les obstacles que j’ai rencontrés, et de toutes les fatigues que j’ai souffertes pour arriver jusqu’ici. Je vous dirai seulement que rien ne m’a mortifié et affligé davantage dans tous mes voyages, que quand j’ai appris la mort d’un frère que j’avais toujours aimé, et que j’aimais d’une amitié véritablement fraternelle. J’ai remarqué de ses traits dans le visage de mon neveu votre fils, et c’est ce qui me l’a fait distinguer par-dessus tous les autres enfants avec lesquels il était. Il a pu vous dire de quelle manière j’ai reçu la triste nouvelle qu’il n’était plus au monde. Mais je me console de le retrouver dans un fils qui en conserve les traits les plus remarquables. »
Le magicien africain, qui s’aperçut que la mère d’Aladin s’attendrissait sur le souvenir de son mari, changea de discours. En se retournant du côté d’Aladin, il lui demanda son nom.
« Je m’appelle Aladin, lui dit-il.
— Eh bien, Aladin, reprit le magicien, à quoi vous occupez-vous ? Savez-vous quelque métier. »
À cette demande, Aladin baissa les yeux, et fut déconcerté. Mais sa mère, en prenant la parole :
« Aladin, dit-elle, est un fainéant. Son père a fait tout son possible, pendant qu’il vivait, pour lui apprendre son métier, et il n’a pu en venir à bout. Depuis qu’il est mort, en dépit de tout ce que j’ai pu lui dire, et ce que je lui répète chaque jour, il ne fait autre métier que de faire le vagabond, et passer tout son temps à jouer, comme vous l’avez vu, sans considérer qu’il n’est plus un enfant. Si vous ne lui en faites honte, et qu’il n’en profite pas, je désespère que jamais il puisse rien valoir. Il sait que son père n’a laissé aucun bien. Il voit lui-même qu’à filer du coton pendant tout le jour, comme je fais, j’ai bien de la peine à gagner de quoi nous avoir du pain. Pour moi, je suis résolue à lui fermer la porte un de ces jours, et à l’envoyer en chercher ailleurs. »
Après que la mère d’Aladin eut achevé ces paroles en fondant en larmes, le magicien africain dit à Aladin :
« Cela n’est pas bien, mon neveu, il faut songer à vous aider vous-même, et à gagner votre vie. Il y a des métiers de plusieurs sortes. Voyez s’il n’y en pas quelqu’un pour lequel vous ayez inclination plutôt que pour un autre. Peut-être que celui de votre père vous déplait, et que vous vous accommoderiez mieux d’un autre : ne dissimulez point ici vos sentiments, je ne cherche qu’à vous aider.
Comme il vit qu’Aladin ne répondait rien :
— Si vous avez de la répugnance à apprendre un métier, continua-t-il, et que vous vouliez être honnête homme, je vous trouverai une boutique garnie de riches étoffes et de toiles fines. Vous vous mettrez en état de les vendre, et de l’argent que vous en ferez, vous achèterez d’autres marchandises. De cette manière vous vivrez honorablement. Réfléchissez, et dites-moi franchement ce que vous en pensez : vous me trouverez toujours prêt à tenir ma promesse. »
Cette offre flatta fort Aladin, à qui le travail manuel déplaisait d’autant plus, qu’il avait assez de connaissance pour s’être aperçu que les boutiques de ces sortes de marchandises étaient propres et fréquentées, et que les marchands étaient bien habillés et fort considérés. Il répondit au magicien africain, qu’il regardait comme son oncle, que son penchant était plutôt de ce côté-là que d’aucun autre, et qu’il lui serait obligé toute sa vie du bien qu’il voulait lui faire.
« Puisque cette profession vous agrée, reprit le magicien africain, je vous mènerai demain avec moi, et je vous ferai habiller proprement et richement, conformément à l’état d’un des plus gros marchands de cette ville. Après-demain nous songerons à vous trouver une boutique de la manière que je l’entends. »
La mère d’Aladin, qui n’avait pas cru jusqu’alors que le magicien africain fût frère de son mari, n’en douta nullement après tout le bien qu’il promettait de faire à son fils. Elle le remercia de ses bonnes intentions, et après avoir exhorté Aladin à se rendre digne de tous les biens que son oncle lui faisait espérer, elle servit le souper. La conversation roula sur le même sujet pendant tout le repas, jusqu’à ce que le magicien, qui vit que la nuit était avancée, prenne congé de la mère et du fils.
Le lendemain matin, le magicien africain ne manqua pas de revenir chez la veuve de Mustafa le tailleur, comme il l’avait promis. Il prit Aladin avec lui, et il le mena chez un gros marchand, qui ne vendait que des habits tout faits, de toutes sortes de belles étoffes, pour les différents âges et conditions. Il s’en fit montrer de convenables à la taille d’Aladin, et après avoir mis à part tous ceux qui lui plaisaient davantage, et rejeté les autres qui n’étaient pas de la beauté qu’il entendait, il dit à Aladin :
« Mon neveu, choisissez dans tous ces habits celui que vous aimez le mieux. »
Aladin, charmé des libéralités de son nouvel oncle, en choisit un. Le magicien l’acheta, avec tout ce qui devait l’accompagner, et paya le tout sans marchander.
Lorsqu’Aladin se vit ainsi habillé magnifiquement depuis les pieds jusqu’à la tête, il fit à son oncle tous les remerciements imaginables, et le magicien lui promit encore de ne le point abandonner, et de l’avoir toujours avec lui. En effet, il le mena dans les lieux les plus fréquentés de la ville, particulièrement dans ceux où étaient les boutiques des riches marchands. Quand il fut dans la rue où étaient les boutiques des plus riches étoffes et des toiles fines, il dit à Aladin :
« Comme vous serez bientôt marchand comme ceux que vous voyez, il est bon que vous les fréquentiez, et qu’ils vous connaissent. »
Il lui fit voir aussi les temples les plus beaux et les plus grands, le conduisit dans les quartiers où logeaient les marchands étrangers, et dans tous les endroits du palais du sultan où il était libre d’entrer. Enfin, après avoir parcouru ensemble tous les beaux endroits de la ville, ils arrivèrent dans le quartier où le magicien avait pris un appartement. Il s’y trouva quelques marchands avec lesquels il avait fait connaissance depuis son arrivée, et qu’il avait rassemblés exprès pour leur offrir à souper, et leur présenter en même temps son prétendu neveu.
Le repas ne finit que sur le soir. Aladin voulut prendre congé de son oncle pour s’en retourner, mais le magicien africain ne voulut pas le laisser aller seul, et le reconduisit lui-même chez sa mère. Dès qu’elle eut aperçu son fils si bien habillé, elle fut transportée de joie. Elle ne cessait de bénir le magicien qui avait fait une si grande dépense pour son enfant.
« Généreux parent, lui dit-elle, je ne sais comment vous remercier de votre libéralité. Je sais que mon fils ne mérite pas le bien que vous lui faites, et qu’il en serait tout à fait indigne s’il négligeait de répondre à la bonne intention que vous avez de lui donner un établissement si distingué. Quant à moi, ajouta-t-elle, je vous en remercie encore de toute mon âme, et je vous souhaite une vie assez longue, pour être témoin de la reconnaissance de mon fils, qui ne peut mieux vous la témoigner qu’en se gouvernant selon vos bons conseils.
— Aladin, dit le magicien africain, est un bon enfant. Il m’écoute assez, et je crois que nous en ferons quelque chose de bon. Je ne suis fâché que d’une chose : ne pouvoir exécuter dès demain ce que je lui ai promis. C’est vendredi, les boutiques seront fermées, et il n’y aura pas lieu de songer à en louer une et à la garnir, pendant que les marchands ne penseront qu’à se divertir. Ainsi nous remettrons l’affaire à samedi. Mais je viendrai demain le prendre, et je le mènerai promener dans les jardins où le beau monde a coutume de se retrouver. Il n’a peut-être encore rien vu des divertissements qu’on y prend. Il n’a été jusqu’à présent qu’avec des enfants : il faut qu’il voie des hommes. »
Le magicien africain prit enfin congé de la mère et du fils, et se retira. Aladin, cependant, dans la grande joie qu’il avait de se voir si bien habillé, se réjouit par avance de la promenade dans les jardins. En effet, jamais il n’était sorti de la ville, et jamais il n’avait vu les environs, qui étaient d’une grande beauté.
Aladin se leva et s’habilla le lendemain de grand matin, pour être prêt à partir quand son oncle viendrait le prendre. Après avoir attendu longtemps, à ce qu’il lui semblait, l’impatience lui fit ouvrir la porte, et se tenir sur le pas, pour voir s’il ne le verrait point. Dès qu’il l’aperçut, il en avertit sa mère ; et en prenant congé d’elle, il ferma la porte, et courut à lui pour le joindre.
Le magicien africain dit d’un air riant à Aladin, quand il le vit.
« Allons, mon cher enfant, je veux vous faire voir aujourd’hui de belles choses. »
Il le mena par une porte qui conduisait à de grandes et belles maisons, ou plutôt à des palais, qui avaient chacun des jardins magnifiques dont les entrées étaient libres. À chaque palais qu’ils rencontraient, il demandait à Aladin s’il le trouvait beau. Cependant ils avançaient toujours plus avant dans la campagne. Et insensiblement, le magicien africain mena Aladin assez loin au-delà des jardins, le faisant traverser des campagnes qui le conduisirent jusqu’assez près des montagnes.
Aladin, qui de sa vie n’avait fait tant de chemin, se sentit fort fatigué d’une si longue marche.
« Mon oncle, dit-il au magicien africain, où allons-nous ? Nous avons laissé les jardins bien loin derrière nous, et je ne vois plus que des montagnes. Si nous avançons davantage, je ne sais si j’aurai assez de force pour retourner jusqu’à la ville.
— Prenez courage, mon neveu, lui dit le faux oncle, je veux vous faire voir un autre jardin qui surpasse tous ceux que vous venez de voir. Il n’est pas loin d’ici, il n’y a qu’un pas. Quand nous y serons arrivés, vous me direz vous-même si vous ne seriez pas fâché de ne l’avoir pas vu, après vous en être approché de si près. »
Aladin se laissa persuader, et le magicien le mena encore fort loin, en l’entretenant de différentes histoires amusantes, pour lui rendre le chemin moins ennuyeux, et la fatigue plus supportable.
Ils arrivèrent enfin à l’endroit remarquable où le magicien africain avait voulu amener Aladin, pour l’exécution du grand dessein qui l’avait fait venir de l’extrémité de l’Afrique jusqu’à la Chine.
« Nous n’allons pas plus loin, dit-il à Aladin : je veux vous faire voir ici des choses extraordinaires et inconnues à tous les mortels. Quand vous les aurez vues, vous me remercierez d’avoir été témoin de tant de merveilles ! Pendant que je vais battre le fusil, amassez de toutes les broussailles que vous voyez, celles qui seront les plus sèches, afin d’allumer du feu. »
Il y avait une si grande quantité de ces broussailles, qu’Aladin en eut bientôt fait un amas plus que suffisant. Il y mit le feu. Et au moment où les broussailles s’enflammèrent, le magicien africain y jeta d’un parfum qu’il avait tout prêt. Il s’éleva une fumée fort épaisse, qu’il détourna de côté et d’autre, en prononçant des paroles magiques auxquelles Aladin ne comprit rien.
Dans le même moment, la terre trembla, et s’ouvrit devant le magicien et Aladin, découvrant une pierre d’environ un pied et demi en quarré, et d’environ un pied de profondeur, posée horizontalement, avec un anneau de bronze scellé au milieu. Aladin effrayé de tout ce qui se passait à ses yeux, eut peur, et il voulut prendre la fuite. Mais le magicien le retint :
« Vous avez vu, lui dit-il, ce que j’ai fait par la vertu de mon parfum et des paroles que j’ai prononcées. Apprenez donc présentement que sous cette pierre, il y a un trésor caché qui vous est destiné, et qui doit vous rendre un jour plus riche que les plus grands rois du monde. Cela est si vrai, qu’il n’y a personne au monde que vous à qui il soit permis de toucher cette pierre, et de la soulever. Il m’est même défendu d’y toucher, et de mettre le pied dans le trésor quand il sera ouvert. Pour cela, il faut que vous exécutiez en tous points ce que je vous dirai, sans y manquer : la chose est de grande conséquence et pour vous et pour moi. »
Aladin, toujours dans l’étonnement de ce qu’il voyait et de ce trésor qui devait le rendre heureux à jamais, oublia tout ce qui s’était passé.
« Hé bien, mon oncle, dit-il au magicien, de quoi s’agit-il ? Commandez, je suis tout prêt à obéir.
— Je suis ravi, mon enfant, lui dit le magicien africain, que vous ayez pris ce parti. Venez, approchez-vous, prenez cet anneau, et levez la pierre.
— Mais, mon oncle, reprit Aladin, je ne suis pas assez fort pour la lever : il faut que vous m’aidiez.
— Non, repartit le magicien africain, vous n’avez pas besoin de mon aide, il faut que vous la leviez vous seul. Prononcez seulement le nom de votre père et de votre grand-père, en tenant l’anneau, et levez : vous verrez qu’elle viendra à vous sans peine. »
Aladin fit comme le magicien lui avait dit : il leva la pierre avec facilité, et il la posa à côté.
Quand la pierre fut ôtée, elle découvrit un caveau de trois à quatre pieds de profondeur, avec une petite porte et des marches pour descendre plus bas.
« Mon fils, dit alors le magicien africain à Aladin, écoutez bien tout ce que je vais vous dire. Descendez dans ce caveau. Quand vous serez au bas des marches, vous trouverez une porte ouverte qui vous conduira dans un grand lieu voûté et partagé en trois grandes salles en enfilade. Dans chacune, vous verrez à droite et à gauche quatre vases de bronze grands comme des cuves, pleins d’or et d’argent : gardez-vous bien d’y toucher. Quand vous y serez entré dans la première salle, passez à la seconde sans vous arrêter, et de là, à la troisième, aussi sans vous arrêter. Au bout de la troisième salle, il y a une porte qui vous donnera entrée dans un jardin planté de beaux arbres, tous chargés de fruits ; marchez tout droit, et traversez ce jardin par un chemin qui vous mènera à un escalier de cinquante marches pour monter sur une terrasse. Quand vous y serez, vous verrez devant vous une niche, et dans la niche, une lampe allumée. Prenez la lampe, éteignez-la, et apportez-la-moi. Si les fruits du jardin vous font envie, vous pouvez en cueillir autant que vous en voudrez ; cela ne vous est pas défendu. »
En achevant ces paroles, le magicien africain tira un anneau qu’il avait au doigt, et il le mit à l’un des doigts d’Aladin, en lui disant que cet anneau le préserverait contre tout ce qui pourrait lui arriver de mal.
« Allez, mon enfant, lui dit-il, descendez hardiment, nous allons être riches l’un et l’autre pour toute notre vie ! »
Aladin sauta légèrement dans le caveau, et descendit jusqu’au bas des marches : il trouva les trois salles dont le magicien africain lui avait fait la description. Il les traversa, ainsi que le jardin, sans s’arrêter, monta sur la terrasse, et prit la lampe allumée dans la niche. Puis il s’arrêta dans le jardin pour contempler les fruits, qu’il n’avait vus qu’en passant. Les arbres de ce jardin étaient tous chargés de fruits extraordinaires. Chaque arbre en portait de différentes couleurs : il y en avait des blancs, certains luisants et transparents comme le cristal, des rouges, des verts, des bleus, des violets, et de plusieurs autres sortes de couleurs. Les blancs étaient en réalité des perles ; les luisants et transparents, des diamants ; les rouges des rubis ; les verts, des émeraudes ; les bleus, des turquoises ; les violets, des améthystes. Ces fruits étaient tous d’une grosseur et d’une perfection à quoi on n’avait encore vu rien de pareil dans le monde. Aladin qui n’en connaissait ni le mérite ni la valeur, ne fut pas touché de la vue de ces fruits qui n’étaient pas de son goût, comme l’eussent été des figues ou des raisins, ou d’autres fruits excellents qui étaient communs dans cette région de la Chine. Il s’imagina que tous ces fruits n’étaient que du verre coloré, et qu’ils ne valaient pas davantage. La diversité de tant de belles couleurs néanmoins, la beauté et la grosseur extraordinaire de chaque fruit, lui donna envie d’en cueillir. Il en prit plusieurs de chaque couleur, et en emplit ses deux poches ainsi que deux bourses toutes neuves que le magicien lui avait achetées, avec l’habit dont il lui avait fait présent.
Aladin, ainsi chargé de richesses sans le savoir, reprit rapidement le chemin des trois salles, afin de ne pas faire attendre trop longtemps le magicien africain. Il remonta par où il était descendu, et se présenta à l’entrée du caveau où le magicien africain l’attendait avec impatience. Aussitôt qu’Aladin l’aperçut :
« Mon oncle, lui dit-il, je vous prie de me donner la main pour m’aider à monter.
Le magicien lui dit :
— Mon fils, donnez-moi la lampe auparavant, elle pourrait vous embarrasser.
— Pardonnez-moi, mon oncle, reprit Aladin, mais elle ne m’embarrasse pas ; je vous la donnerai dès que je serai monté. »
Le magicien africain s’entêta à vouloir qu’Aladin lui mît la lampe entre les mains ; et Aladin refusa absolument de la donner tant qu’il ne fût hors du caveau. Alors le magicien entra dans une colère épouvantable : à peine eut-il prononcé deux paroles magiques, que la pierre qui servait à fermer l’entrée du caveau, se remit d’elle-même à sa place, avec la terre par-dessus, comme elle l’était à leur arrivée.
Il est certain que le magicien africain n’était pas frère de Mustafa le tailleur, comme il s’en était vanté, ni par conséquent oncle d’Aladin ! Mais il était véritablement d’Afrique, et il y était né. Il s’était appliqué à la magie dès sa jeunesse, et après quarante années ou environ d’enchantements, de géomancie, et d’étude de grimoires, il était enfin parvenu à découvrir qu’il y avait dans le monde une lampe merveilleuse, dont la possession le rendrait plus puissant qu’aucun monarque de l’univers. Par une dernière opération de géomancie, il avait appris que cette lampe était dans un endroit souterrain, au milieu de la Chine.
Après un voyage long et pénible, il était arrivé à la ville voisine du trésor. Mais il ne lui était pas permis de prendre lui-même la lampe, ni d’entrer en personne dans le lieu souterrain où elle se trouvait. Il fallait qu’un autre y descendît, l’allât prendre, et la lui mît entre les mains. C’est pourquoi il s’était adressé à Aladin, qui lui avait paru un jeune enfant sans conséquence, et tout à fait propre à lui rendre ce service Il avait ensuite le projet de sacrifier le pauvre enfant à son avarice et à sa méchanceté, afin de ne pas avoir de témoin. Mais la résistance du jeune homme avait fait échouer ce projet.
Le magicien africain n’avait plus d’autre parti à prendre que celui de retourner en Afrique : c’est ce qu’il fit dès le jour même. Il emprunta plusieurs détours, pour ne pas rentrer dans la ville par là où il en était sorti avec Aladin. Il craignait d’être observé par plusieurs personnes, qui pouvaient l’avoir vu se promener avec cet enfant, et revenir sans lui.
Selon toutes les apparences, on ne devait plus entendre parler d’Aladin. Mais celui-là même qui avait cru le perdre pour jamais, n’avait pas fait attention qu’il lui avait mis au doigt un anneau qui pouvait servir à le sauver. En effet, ce fut cet anneau qui fut cause du salut d’Aladin.
Ce dernier, qui ne s’attendait pas à la méchanceté de son faux oncle après les présents que celui-ci lui avait faits, fut dans un étonnement qu’il est plus aisé d’imaginer que de représenter par des paroles. Quand il se vit enterré tout vif, il appela mille fois son oncle en criant qu’il était prêt à lui donner la lampe. Mais ses cris étaient inutiles : il demeura dans les ténèbres et dans l’obscurité. Il tâtonna devant lui à droite et à gauche, et ne trouva plus de porte. Alors il s’assit sur les marches du caveau, sans espoir de revoir jamais la lumière, et avec la triste certitude au contraire de passer des ténèbres où il était, dans celles d’une mort prochaine.
Aladin demeura deux jours en cet état, sans manger et sans boire. Le troisième jour, en regardant la mort comme inévitable, il se tordit les mains de désespoir. Dans cette action, il frotta sans y penser l’anneau que le magicien africain lui avait mis au doigt, et dont il ne connaissait pas encore les pouvoirs. Aussitôt un génie d’une taille monstrueuse et au regard épouvantable s’éleva devant lui. Il prononça ces paroles :
« Que veux-tu ? Me voici prêt à t’obéir comme ton esclave, et l’esclave de tous ceux qui ont l’anneau au doigt, moi, et les autres esclaves de l’anneau. »
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