Texte intégral, adaptation personnelle
Illustré par Thomas Blakeley Mackenzie
En tout autre occasion, Aladin eût pu être saisi de frayeur ; mais occupé uniquement du danger présent où il était, il répondit sans hésiter :
« Qui que tu sois, fais-moi sortir de ce lieu, si tu en as le pouvoir. »
À peine eut-il prononcé ces paroles, que la terre s’ouvrit, et qu’il se trouva hors du caveau, et à l’endroit justement où le magicien l’avait amené.
En se tournant du côté de la ville, il l’aperçut au milieu des jardins qui l’environnaient ; il reconnut également le chemin par où le magicien africain l’avait amené. Il le reprit, arriva jusqu’à la ville, et se traîna chez lui avec bien de la peine. En entrant chez sa mère, la joie de la revoir, jointe à la faiblesse dans laquelle il était de n’avoir pas mangé depuis près de trois jours, lui causèrent un évanouissement qui dura quelque temps. Sa mère qui l’avait déjà pleuré comme perdu ou comme mort, en le voyant en cet état, n’oublia aucun de ses soins pour le faire revenir.
Revenant à lui, les premières paroles qu’il prononça, furent celles-ci :
« Ma mère, avant toute chose, je vous prie de me donner à manger ; il y a trois jours que je n’ai pris quoi que ce soit.
Sa mère lui apporta ce qu’elle avait, et en le mettant devant lui :
— Mon fils, lui dit-elle, ne vous pressez pas. Mangez lentement et à votre aise, et ménagez-vous dans le grand besoin que vous en avez. Je ne veux pas même que vous me parliez : vous aurez assez de temps pour me raconter ce qui vous est arrivé, quand vous serez bien rétabli. »
Aladin suivit le conseil de sa mère, il mangea lentement, et il but de même. Quand il eut achevé :
« Ma mère, dit-il, j’aurais de grandes plaintes à vous faire sur ce que vous m’avez abandonné avec tant de facilité à la discrétion d’un homme qui avait le dessein de me perdre, et qui tient à l’heure que je vous parle, ma mort certaine. Eh ! Pouvions-nous avoir d’autre pensée d’un homme qui m’accablait de caresses et de biens, et qui me faisait tant d’autres promesses avantageuses ? Sachez, ma mère, que ce n’est qu’un traître, un méchant, un fourbe ! Vous le comprendrez vous-même par le récit fidèle que vous allez entendre de tout ce qui s’est passé depuis que je me suis séparé de vous, jusqu’à l’exécution de son pernicieux dessein. »
Aladin commença à raconter à sa mère tout ce qui lui était arrivé avec le magicien, depuis le vendredi qu’il était venu le prendre pour le mener avec lui voir les palais et les jardins qui étaient hors de la ville. Il n’omit aucune circonstance de tout ce qu’il avait vu en passant et en repassant dans les trois salles, dans le jardin et sur la terrasse où il avait pris la lampe merveilleuse, qu’il montra à sa mère, aussi bien que les fruits transparents et de différentes couleurs qu’il avait cueillis dans le jardin. Il les donna à sa mère, et elle en fit peu de cas. Ces fruits étaient cependant des pierres précieuses ! Mais la mère d’Aladin n’avait pas sur cela davantage de connaissance que son fils. Elle avait été élevée dans une condition très médiocre, et son mari n’avait pas eu assez de biens pour lui donner de ces sortes de pierreries. Elle n’en avait jamais vu à aucune de ses parentes, ni aucune de ses voisines. Ainsi, il ne faut pas s’étonner si elle ne les regarda que comme des choses de peu de valeur, et bonnes tout au plus à divertir la vue par la variété de leurs couleurs ; ce qui fit qu’Aladin les mit derrière un des coussins du sofa sur lequel il était assis.
Quand il eut fini ce récit :
« Voilà enfin quelle a été mon aventure, et quel est le danger que j’ai couru depuis que vous ne m’avez vu. »
La mère d’Aladin avait eu la patience d’entendre, sans l’interrompre, ce récit merveilleux et surprenant. Mais dès qu’Aladin eut achevé, elle se déchaîna en mille injures contre cet imposteur : elle l’appela traître, perfide, barbare, assassin, trompeur, magicien, ennemi et destructeur du genre humain.
Puis, se calmant, elle dit à son fils qu’il devait désormais se reposer, car cela faisait plusieurs qu’il n’avait pas dormi. Aladin, qui n’avait pris aucun repos dans le lieu souterrain où il avait été enseveli à dessein, dormit toute la nuit d’un profond sommeil, et ne se réveilla le lendemain que fort tard. En se levant, la première chose qu’il dit à sa mère, ce fut qu’il avait besoin de manger, et qu’elle ne pouvait lui faire un plus grand plaisir que de lui donner à déjeuner.
« Hélas, mon fils, lui répondit sa mère, je n’ai pas seulement un morceau de pain à vous donner, vous avez mangé hier soir le peu de provisions qu’il y avait dans la maison. Mais soyez un peu patient, je ne serai pas longtemps à vous en apporter. Il me reste du fil de coton de mon travail. Je vais le vendre, afin de vous acheter du pain et quelque chose pour notre dîner.
— Ma mère, reprit Aladin, réservez votre fil de coton pour une autre fois, et donnez-moi la lampe que j’ai apportée hier. J’irai la vendre, et l’argent que j’en aurai servira à nous avoir de quoi déjeuner et dîner, et peut-être de quoi souper.
La mère d’Aladin prit la lampe où elle l’avait mise.
— La voilà, dit-elle à son fils. Mais elle est bien sale. Pour peu qu’elle soit nettoyée, je crois que nous pourrons en tirer davantage. »
Elle prit de l’eau et un peu de sable fin pour la nettoyer. Mais à peine eut-elle commencé à frotter la lampe, qu’en un instant, en présence de son fils, un génie hideux et d’une grandeur gigantesque s’éleva et parut devant elle. Il lui dit d’une voix tonitruante :
« Que veux-tu ? Me voici prêt à t’obéir, comme ton esclave, et l’esclave de tous ceux qui ont la lampe en main, moi, et les autres esclaves de la lampe ! »
La mère d’Aladin n’était pas en état de répondre. Sa frayeur avait été si grande, dès les premières paroles qu’il avait prononcées, qu’elle était tombée évanouie.
Aladin qui avait déjà eu une apparition à peu près semblable dans le caveau, sans perdre de temps, se saisit promptement de la lampe, et en suppléant au défaut de sa mère, répondit pour elle d’un ton ferme.
« J’ai faim, apportez-moi de quoi manger. »
Le génie disparut, et un instant après il revint chargé d’un grand bassin d’argent qu’il portait sur sa tête, avec douze plats couverts de même métal, pleins d’excellents mets, six grands pains blancs comme neige sur les plats, deux bouteilles de vin exquis, et deux tasses d’argent à la main. Il posa le tout sur le sofa, et aussitôt il disparut.
Cela se fit en si peu de temps, que la mère d’Aladin n’était pas encore revenue de son évanouissement quand le génie disparut pour la seconde fois. Quand celle-ci retrouva ses esprits, Aladin lui dit :
« Ma mère, levez-vous, et venez manger. Ne laissons pas refroidir de si bons mets. »
La mère d’Aladin fut extrêmement surprise quand elle vit le grand bassin, les douze plats, les six pains, les deux bouteilles et les deux tasses, et qu’elle sentit l’odeur délicieuse qui exhalait de tous ces plats.
« Mon fils, demanda-t-elle à Aladin, d’où nous vient cette abondance, et à qui sommes-nous redevables d’une si grande libéralité ? Le sultan aurait-il eu connaissance de notre pauvreté, et aurait-il eu compassion de nous ?
Aladin lui raconta exactement tout ce qui s’était passé entre le génie et lui pendant son évanouissement, jusqu’à ce qu’elle fût revenue à elle. La mère d’Aladin se montra fort surprise.
« Mais, mon fils, reprit-elle, que voulez-vous dire avec vos génies ? Jamais, depuis que je suis au monde, je n’ai entendu dire que personne de ma connaissance en eût vu. Par quelle aventure ce vilain génie est-il venu se présenter à moi ? Pourquoi s’est-il adressé à moi et non pas à vous, à qui il a déjà apparu dans le caveau du trésor ?
— Ma mère, repartit Aladin, le génie qui vient de vous apparaître n’est pas le même que celui qui m’est apparu : ils se ressemblent quelque peu, du fait de leur taille gigantesque. Mais ils sont entièrement différents par leur mine et par leur habillement. Ils appartiennent à différents maîtres. Si vous vous en souvenez, celui que j’ai vu, s’est dit esclave de l’anneau que j’ai au doigt, et celui que vous venez de voir, s’est dit esclave de la lampe que vous aviez à la main.
— Quoi ? s’écria la mère d’Aladin, c’est donc votre lampe qui est cause que ce mauvais génie s’est adressé à moi plutôt qu’à vous ? Ah, mon fils, ôtez-la de devant mes yeux et la mettez où il vous plaira, je ne veux plus y toucher ! Si vous me croyez, vous vous déferez aussi de l’anneau. Il ne faut pas avoir commerce avec des génies : ce sont des démons !
— Ma mère, avec votre permission, reprit Aladin, je me garderai bien de vendre, comme j’étais près de le faire, une lampe qui va nous être si utile. Ne voyez-vous pas ce qu’elle vient de nous procurer ? Il faut qu’elle continue à nous fournir de quoi nous nourrir et nous entretenir. Vous devez comprendre que ce n’était pas sans raison que mon faux et méchant oncle s’était donné tant de mal, et avait entrepris un si long et si pénible voyage, puisque c’était pour parvenir à la possession de cette lampe merveilleuse. Puisque le hasard nous en a fait découvrir la vertu, faisons-en un usage qui nous soit profitable, mais d’une manière qui soit sans éclat, et qui ne nous attire pas l’envie et la jalousie de nos voisins.
Pour ce qui est de l’anneau, je ne saurais aussi me résoudre à le jeter : sans cet anneau vous ne m’eussiez jamais revu. Vous me permettrez donc de le garder, et de le porter toujours au doigt bien précieusement. Qui sait s’il ne m’arrivera pas quelque autre danger que nous ne pouvons prévoir ni vous ni moi, dont il pourra me délivrer ? »
Le lendemain au soir après le souper, il ne resta rien des provisions que le génie avait apportées. Le jour suivant, Aladin prit un des plats d’argent sous sa robe, et sortit le matin pour aller le vendre. Il s’adressa à un commerçant qu’il rencontra sur son chemin. En lui montrant le plat, il lui demanda s’il voulait l’acheter.
Le commerçant rusé et adroit, prend le plat, l’examine : il n’eut pas plutôt compris qu’il était de bon argent, qu’il demanda à Aladin combien il l’estimait. Aladin qui n’en connaissait pas la valeur, et qui n’avait jamais fait commerce de cette marchandise, se contenta de lui dire qu’il savait bien lui-même ce que ce plat pouvait valoir, et qu’il s’en rapportait à sa bonne foi. Le commerçant se trouva embarrassé de la naïveté d’Aladin. Il tira de sa bourse une pièce d’or qui ne faisait au plus que la soixante-deuxième partie de la valeur du plat, et il la lui présenta. Aladin prit la pièce avec un grand empressement, et se retira si promptement, que le commerçant, non content du gain exorbitant qu’il faisait par cet achat, fut bien fâché de ne pas avoir donné beaucoup moins.
Aladin, s’en retournant chez sa mère, s’arrêta à la boutique d’un boulanger, chez qui il fit provision de pain pour sa mère et pour lui. En arrivant, il donna le reste à sa mère, qui alla au marché acheter les provisions nécessaires pour vivre tous les deux pendant quelques jours.
Ils continuèrent ainsi, c’est-à-dire qu’Aladin vendit tous les plats au commerçant l’un après l’autre jusqu’au douzième, de la même manière qu’il avait fait pour le premier, au fur et à mesure que l’argent venait à manquer dans la maison. Le commerçant, qui avait donné une pièce d’or en échange du premier, n’osa lui offrir moins des autres, de crainte de perdre une si bonne aubaine. Quand l’argent du dernier plat fut dépensé, Aladin eut recours au bassin, qui pesait à lui seul, dix fois autant que chaque plat. Il fut obligé d’aller chercher le commerçant, qu’il amena chez sa mère. Celui-ci, après avoir examiné le poids du bassin, lui compta sur-le-champ dix pièces d’or, dont Aladin se contenta. Tant que ces dix pièces d’or durèrent, elles furent employées à la dépense journalière de la maison.
Aladin cependant, s’était abstenu de jouer avec les jeunes gens de son âge depuis son aventure avec le magicien africain. Il passait les journées à se promener, ou à s’entretenir avec des gens avec lesquels il avait fait connaissance. Quelquefois il s’arrêtait dans les boutiques de gros marchands, où il prêtait l’oreille aux conversations.
Quand il ne resta plus rien des dix pièces d’or, Aladin eut recours à la lampe : il la frotta comme sa mère l’ avait fait ; et aussitôt le même génie se présenta devant lui :
« Que veux-tu, lui demanda-t-il dans les mêmes termes qu’auparavant ? Me voici prêt à t’obéir comme ton esclave, et celui de tous ceux qui ont la lampe à la main, moi, et les autres esclaves de la lampe ! »
Aladin lui dit : « J’ai faim, apporte-moi de quoi manger. »
Le génie disparut, et peu de temps après il reparut, chargé d’un service de table pareil à celui qu’il avait apporté la première fois ; il le posa sur le sofa, et disparut.
La mère d’Aladin, avertie du dessein de son fils, était sortie exprès pour quelque affaire, afin de ne se pas trouver dans la maison dans le temps de l’apparition du génie. Elle rentra peu de temps après, vit la table et le buffet très bien garnis, et demeura presqu’aussi surprise de l’effet prodigieux de la lampe, qu’elle l’avait été la première fois. Aladin et sa mère eurent de quoi vivre largement les deux jours suivants.
Dès qu’Aladin vit qu’il n’y avait plus dans la maison ni pain ni autres provisions, il prit un plat d’argent, et alla chercher le commerçant qu’il connaissait, pour le lui vendre. En y allant il passa devant la boutique d’un orfèvre respectable par sa vieillesse, honnête homme, et d’une grande probité. L’orfèvre qui l’aperçut, l’appela et le fit entrer :
« Mon fils, lui dit-il, je vous ai déjà vu passer plusieurs fois, chargé comme vous l’êtes à présent, rejoindre un tel marchand, et repasser peu de temps après les mains vides. Je me suis imaginé que vous lui vendez ce que vous portez. Mais vous ne savez peut-être pas que ce marchand est un voleur : personne de ceux qui le connaissent ne veut avoir affaire à lui. Si vous voulez me montrer ce que vous portez présentement, et qu’il soit à vendre, je vous en donnerai fidèlement son juste prix. »
L’espérance de faire plus d’argent du plat fit qu’Aladin le tira de dessous sa robe, et le montra à l’orfèvre. Le vieillard, qui remarqua tout de suite que le plat était d’argent fin, lui demanda s’il en avait vendu de semblables, et combien le marchand les lui avait payés. Aladin lui dit naïvement qu’il en avait vendu douze, et qu’il avait reçu une pièce d’or de chacun.
« Ah, le voleur, s’écria l’orfèvre ! Mon fils, ajouta-t-il, ce qui est fait est fait : il n’y faut plus penser. Mais ce plat vaut soixante-douze pièces d’or », qu’il lui compta sur-le-champ en espèces. Aladin remercia bien fort l’orfèvre, et par la suite il ne s’adressa plus qu’à lui pour vendre les autres plats, aussi bien que le bassin, dont la juste valeur lui fut toujours payée à proportion de son poids.
Quoiqu’Aladin et sa mère eussent une source intarissable d’argent, ils continuèrent néanmoins de vivre avec la même frugalité qu’auparavant, à la réserve près qu’Aladin en mettait un peu de côté pour s’établir honnêtement plus tard. Sa mère, de son côté, prenait la dépense de ses vêtements sur ce que lui rapportait le coton qu’elle filait. Avec une conduite si sobre, il est aisé de juger combien de temps l’argent des douze plats et du bassin leur dura : ils vécurent de la sorte pendant quelques années, avec le secours du bon usage qu’Aladin faisait de la lampe de temps en temps.
Pendant ce temps-là, Aladin ne manquait pas de fréquenter avec beaucoup d’assiduité les boutiques des plus gros marchands de draps d’or et d’argent, d’étoffes de soie, de toiles les plus fines, et de joailleries, et se mêlait parfois aux conversations, ce qui acheva de se former. Particulièrement chez les joailliers, il fut détrompé de la pensée qu’il avait que les fruits transparents qu’il avait cueillis dans le jardin où il était allé prendre la lampe, n’étaient que du verre coloré : il apprit que c’étaient des pierres de grand prix. Il comprit qu’au lieu de morceaux de verre qu’il avait regardés comme des bagatelles, il possédait un trésor inestimable. Il eut la prudence de n’en parler à personne, pas même à sa mère.
Un jour en se promenant dans un quartier de la ville, Aladin entendit publier à haute voix un ordre du sultan, de fermer les boutiques et les portes des maisons, et de se renfermer chacun chez soi, jusqu’à ce que la princesse Badroulboudour, fille du sultan, fût passée pour aller au bain, et qu’elle en fût revenue. Cet ordre fit naître dans l’esprit d’Aladin, le vif désir de voir la princesse. Il se cacha près des bains avant son arrivée. Elle parut bientôt, accompagnée d’une grande foule de dames et d’esclaves, qui marchaient à ses côtés ou derrière elle. Quand elle fut à la porte, elle ôta son voile, ce qui permit à Aladin de voir son visage.
Or, la princesse était une beauté célèbre ; elle avait de grands yeux vifs et brillants, et son sourire était enchanteur. Il ne faut donc pas s’étonner si Aladin en fut ébloui et ravi.
Dès que la princesse fut entrée, Aladin quitta sa cachette et rentra chez lui. Sa mère s’aperçut immédiatement qu’il était plus pensif et plus mélancolique que d’habitude, et lui demanda s’il avait quelque ennui ou s’il était malade. Alors il raconta son aventure à sa mère, et finit en disant : « J’aime la princesse plus que je ne puis le dire, et je suis décidé à la demander en mariage au sultan ! »
La mère d’Aladin avait écouté avec surprise ce que son fils lui disait ; mais quand il parla de demander la princesse en mariage, elle éclata de rire, et lui dit qu’il était fou.
« Je vous assure, mère, répliqua Aladin, que je ne suis pas fou ; j’ai toute ma raison. Je suis décidé à demander la princesse au sultan, et je ne désespère pas de réussir. J’ai, pour m’aider, les esclaves de la lampe et ceux de l’anneau, et vous savez combien leur aide est puissante. Puis, j’ai un autre secret à vous dire : ces fruits de verre coloré que j’ai cueillis aux arbres dans le jardin du palais souterrain, sont des joyaux d’un grand prix. Toutes les pierres précieuses des joailliers de la ville ne peuvent leur être comparées en grosseur et en beauté : offrons-les au sultan, je suis sûr qu’elles nous le rendront favorable. Vous avez un grand plat de porcelaine, qui les contiendra tous : allez le chercher, et voyons un peu de quoi ils auront l’air quand nous les y aurons disposés suivant leurs couleurs. »
La mère d’Aladin alla chercher le plat ; et le jeune homme tira les joyaux des deux bourses où il les avait gardés jusqu’alors, les arrangeant selon sa fantaisie. La mère, enhardie à la vue de ces riches pierreries, et craignant que son fils ne se rendît coupable d’une extravagance plus grande encore, promit de faire ce qu’il voulait et de se rendre de bonne heure le lendemain, au palais du sultan.
Aladin se leva avant l’aube, réveilla sa mère, la pressant de se rendre au palais du sultan, et de s’y faire admettre.
Elle prit donc le plat où ils avaient mis les pierreries la veille, et partit pour le palais. Quand elle fut arrivée aux portes, elle pénétra malgré la foule qui était grande, dans une vaste salle pleine de magnificence. Elle prit place en face du sultan et des grands seigneurs, réunis en conseil à sa droite et à sa gauche. Plusieurs causes furent entendues, plaidées et jugées, et l’audience étant levée, le sultan se retira dans ses appartements, suivi de ses ministres.
La mère d’Aladin, voyant le sultan se retirer, et tout le monde partir, pensa avec raison qu’il ne recevrait plus ce jour-là, et se décida à rentrer chez elle. Quand elle fut de retour, elle dit à son fils, avec une grande simplicité :
« Mon fils, j’ai vu le sultan ; mais il était fort occupé, ayant affaire à tant de gens. Quand il se retira, je fus bien contente, car je commençais vraiment à perdre patience, et j’étais on ne peut plus fatiguée d’être restée si longtemps. Mais il n’y a pas de mal, je retournerai au palais ; peut-être le sultan ne sera-t-il pas si occupé une autre fois. »
Elle retourna au palais six fois encore, et se mit juste en face du sultan, mais sans plus de succès que le premier jour. Le sixième jour, cependant, quand le sultan regagna ses appartements, il dit à son grand vizir :
« J’ai remarqué une femme qui vient régulièrement, depuis peu, elle porte quelque chose enveloppé dans une serviette. Si elle vient encore, la prochaine fois, ne manquez pas de l’appeler, que je puisse savoir ce qu’elle a à dire. »
À l’assemblée suivante, quand la mère d’Aladin se fut placée comme d’habitude en face du sultan, le grand vizir ordonna qu’on l’amène au sultan.
« Bonne femme, lui dit-il, voilà plusieurs jours que je vous vois ici, quelle affaire vous y amène ?
Alors la mère d’Aladin se prosterna le front contre terre, et, quand elle se fut relevée :
— Roi des Rois, dit-elle, je vous supplie de me pardonner la hardiesse de ma requête et de m’assurer de votre pardon.
— Oui, répliqua le sultan, je vous pardonne, quoi que vous ayez à dire ; parlez hardiment. »
La mère d’Aladin s’acquitta fidèlement du message dont son fils l’avait chargée. Le sultan l’écouta sans témoigner aucune colère, mais, avant de lui répondre, il lui demanda ce qu’elle avait apporté dans cette serviette. Alors elle la déplia, et présenta le plat au sultan, dont la surprise fut grande, quand il vit tous ces beaux et précieux joyaux. Quand il fut revenu de sa surprise, il les prit, disant :
« Comme c’est riche, comme c’est beau !
— Eh bien, poursuivit le sultan en s’adressant à son grand vizir, que dis-tu d’un tel présent ? N’est-il pas digne de la princesse, ma fille ? Et ne devrais-je pas la donner à celui qui y attache un tel prix ?
— En vérité, je dois reconnaître que ce présent est digne de la princesse, répondit celui-ci. Mais je prie Votre Majesté de m’accorder trois mois avant qu’elle ne prenne une résolution. J’espère que d’ici là, mon fils, que vous avez toujours regardé avec faveur, sera à même de vous faire un présent plus noble que celui de cet Aladin, qui n’est qu’un étranger pour Votre Majesté.
Le sultan accueillit cette requête, et dit à la femme :
— Retournez chez vous, et dites à votre fils que je consens à la proposition que vous m’avez faite, mais je ne puis marier ma fille avant trois mois. Revenez à l’expiration de ce terme. »
La mère d’Aladin rentra chez elle plus heureuse qu’elle n’avait espéré l’être, et rapporta à son fils la bienveillante réponse qu’elle avait reçue de la bouche même du sultan, ajoutant qu’elle devait retourner au palais dans trois mois.
Aladin se crut le plus heureux des hommes, et remercia sa mère de la peine qu’elle avait prise dans cette affaire. Il se mit à compter les jours, les semaines et même les heures qui le séparaient de son bonheur.
Les trois mois étaient presque écoulés quand, un jour, sa mère, ayant besoin d’huile, sortit pour en acheter et trouva la ville en fête. Les maisons étaient décorées de feuillages et de draperies. Les rues étaient pleines d’officiers à cheval, que suivaient d’innombrables fantassins. La mère demanda au marchand en quel honneur se tenaient ces réjouissances publiques.
« D’où venez-vous, ma bonne femme ? dit-il, ne savez-vous pas que le fils du grand vizir doit épouser ce soir la princesse Badroulboudour, fille du sultan ? Ces officiers, que vous voyez, doivent veiller au bon ordre du cortège qui va se rendre au palais où la cérémonie doit être célébrée. »
En apprenant cela, la mère d’Aladin rentra chez elle, en courant.
« Mon enfant, s’écria-t-elle, les belles promesses du sultan seront réduites à rien ! Le fils du grand vizir va épouser la princesse ce soir. »
Aladin fut anéanti, mais il se souvint de la lampe, et du génie qui avait promis de lui obéir. Sans perdre de temps en vaines paroles contre le sultan, le vizir ou son fils, il résolut, si possible, d’empêcher le mariage.
Il alla dans sa chambre, prit la lampe, la frotta, et immédiatement le génie parut, et lui dit :
« Que veux-tu ? Je suis prêt à t’obéir comme ton esclave, moi, et les autres esclaves de la lampe.
— Écoute-moi, dit Aladin. La fille du sultan, qui m’avait été promise, doit épouser ce soir le fils du grand vizir. Apporte-les ici tous deux, aussitôt après la cérémonie.
— Maître, répliqua le génie, je vous obéis. »
Aladin soupa avec sa mère comme d’habitude ; puis il se retira dans sa chambre, et attendit que le génie eût exécuté ses ordres.
Pendant ce temps, les réjouissances en l’honneur du mariage de la princesse avaient lieu en grande pompe au palais du sultan. Quand les cérémonies furent achevées, la princesse et le fils vizir se retirèrent dans les appartements qui leur avaient été préparés. Ils n’eurent pas plutôt renvoyé leurs serviteurs, que le fidèle esclave de la lampe s’empara des époux stupéfaits et effrayés, et, par quelque moyen invisible, les transporta l’un et l’autre dans la chambre d’Aladin.
« Emporte l’époux, dit Aladin au génie, garde-le jusqu’à l’aube, et reviens alors ici avec lui. »
Quand Aladin se trouva seul avec la princesse, il s’efforça de calmer ses craintes, lui expliqua la trahison dont il avait été victime de la part du sultan, son père. Il lui promit, cependant, de la traiter avec le plus absolu respect. À la pointe du jour, le génie parut à l’heure dite, l’amenant l’époux. Sur l’ordre d’Aladin, il les rapporta au palais, lui et la princesse, par même moyen invisible. La nuit suivante, il en fut de même, et, ayant passé cette nuit-là de la même manière désagréable, ils furent, au matin, transportés au palais du sultan. Ils étaient à peine de retour dans leurs appartements que le sultan vint présenter ses compliments à sa fille, et la princesse lui raconta tout ce qui était arrivé.
En apprenant ces étranges nouvelles, le sultan délibéra avec le grand vizir ; et, ayant appris de lui que son fils avait été soumis à des traitements encore pires, il résolut d’annuler le mariage, et d’arrêter les fêtes qui devaient durer plusieurs jours encore.
Ce revirement soudain dans l’esprit du sultan donna lieu à bien des suppositions et à bien des bavardages. Personne ne connaissait le secret, si ce n’est Aladin, qui le garda religieusement. Ni le sultan ni le grand vizir, qui avaient oublié Aladin et sa requête, ne se doutèrent le moins du monde qu’il fût pour quelque chose dans les étranges aventures survenues aux jeunes époux.
Quand le dernier jour du troisième mois fut arrivé, la mère d’Aladin se rendit au palais et reprit sa même place. Le sultan la reconnut et donna ordre à son vizir de la lui faire amener. Après qu’elle se fut prosternée devant lui :
« Sire, dit-elle, je viens, au bout des trois mois, vous demander de tenir la promesse que vous avez faite à mon fils. »
Le sultan ne pensait guère que la demande de la mère d’Aladin avait été faite sérieusement, et qu’il entendrait encore parler cette affaire. Il prit conseil auprès de son vizir, qui lui suggéra d’attacher au mariage de telles conditions qu’un homme dans l’humble situation d’Aladin ne pourrait remplir. Aussi le sultan dit à la mère d’Aladin :
« Il est vrai, ma bonne femme, que les sultans doivent tenir leur parole, et je suis prêt à faire honneur à la mienne en donnant la princesse en mariage à votre fils. Mais je ne peux la marier sans être bien sûr que votre fils est à même de lui donner tout ce qui convient à une reine. Allez lui dire que je tiendrai ma promesse aussitôt qu’il m’aura envoyé quarante plateaux d’or, remplis de joyaux pareils à ceux dont vous m’avez déjà fait présent, portés par quarante esclaves noirs, conduits par autant d’esclaves blancs, vêtus d’habits magnifiques. Que ces conditions soient remplies, et je suis prêt à donner la princesse, ma fille, à votre fils. Allez le lui dire ; j’attendrai que vous me rapportiez sa réponse. »
La mère d’Aladin se retira.
En chemin, elle riait toute seule des folles imaginations de son fils, et se disait : « Où pourra-t-il bien se procurer tant de grands plateaux en or, et de pareilles pierres précieuses pour les remplir? Ce n’est pas en son pouvoir. »
Quand elle arriva chez elle, pleine de ces pensées, elle raconta à Aladin son entrevue avec le sultan, et les conditions auxquelles il consentait au mariage.
« Le sultan attend ta réponse, et je crois qu’il pourra l’attendre longtemps !
— « Pas si longtemps que vous ne croyez, ma mère, répliqua Aladin. Il n’exige là qu’une simple bagatelle. Je vais me préparer sur-le-champ à satisfaire son désir. »
Aladin se retira dans sa chambre, fit venir le génie de la lampe, et lui ordonna de préparer le présent et de l’offrir au sultan avant qu’il n’eût achevé ses audiences du matin. Le génie fit acte de soumission au possesseur de la lampe, et disparut.
Peu de temps après, un cortège de quarante esclaves noirs, précédés d’un même nombre d’esclaves blancs, parut en face de la maison où habitait Aladin. Chaque esclave noir portait sur la tête un bassin en or rempli de perles fines, de diamants, de rubis et d’émeraudes. Alors Aladin s’adressa à sa mère :
« Je vous prie, Madame, ne perdez pas de temps ; je voudrais que vous retourniez au palais avant que le sultan ne se fût retiré. Offrez-lui ce présent comme dot de la princesse, afin qu’il puisse juger de mon empressement et du désir ardent et sincère que j’ai d’obtenir l’honneur de cette alliance. »
Aussitôt que ce magnifique cortège, avec la mère d’Aladin en tête, eut commencé à défiler à travers la ville, les gens se pressèrent en foule pour contempler un si beau spectacle. La démarche gracieuse des esclaves, l’éclat de leurs ceintures enrichies de joyaux, et la splendeur des aigrettes de pierres précieuses qui ornaient leurs turbans, excitaient l’admiration la plus grande. Jamais, en vérité, on n’avait rien vu d’aussi beau et d’aussi splendide dans le palais du sultan.
Comme celui-ci, qu’on avait informé de leur arrivée, avait donné des ordres pour qu’on les laissât entrer, ils pénétrèrent dans la salle d’audience en ordre régulier, la moitié prenant la gauche, et l’autre, la droite. Quand ils eurent formé un demi-cercle devant le trône du sultan, les esclaves noirs posèrent les plateaux d’or à terre, se prosternèrent, le front sur le tapis, et les esclaves blancs en firent autant. Quand ils se furent relevés, les esclaves noirs découvrirent les plateaux, puis se tinrent immobiles les bras croisés sur la poitrine.
Pendant ce temps, la mère d’Aladin s’était avancée au pied du trône, et après s’être prosternée, elle dit au sultan :
« Sire, mon fils sait bien que ce présent est indigne de la princesse ; mais il espère, toutefois, que Votre Majesté daignera l’accepter et le faire accepter à la princesse ; il a d’autant plus confiance qu’il s’est efforcé de remplir les conditions qu’il vous a plu de lui imposer. »
Le sultan, émerveillé à la vue d’une si royale magnificence, répondit sans hésiter :
« Allez dire à votre fils que je l’attends les bras ouverts ; et plus il se hâtera de venir recevoir de mes mains la princesse ma fille, plus il me fera plaisir. »
Dès que la mère d’Aladin se fut retirée, le sultan renvoya tout le monde, et, se levant de son trône, fit donner ordre aux serviteurs de la princesse, de venir chercher les plateaux et de les porter dans les appartements de leur maîtresse, où lui-même se rendit pour les examiner à loisir avec elle. Les quatre-vingts esclaves furent conduits dans le palais ; et le sultan, avant loué la somptuosité de leurs vêtements devant la princesse, ordonna qu’ils fussent amenés devant ses appartements, afin qu’elle pût voir qu’il n’avait rien exagéré.
La mère d’Aladin étant rentrée chez elle :
« Mon fils, dit-elle, réjouissez-vous, vos désirs sont comblés. Le sultan a déclaré que vous épouseriez la princesse. Il vous attend avec impatience. »
Aladin se retira dans sa chambre. Là, il frotta la lampe et le génie parut.
« Génie, dit Aladin, transporte-moi au palais sur-le-champ, et donne-moi les habits les plus riches que monarque ait jamais portés. »
Ces mots n’étaient pas plus tôt sortis de sa bouche qu’il trouva dans le vestibule, au lieu de ses pauvres vêtements, des habits dont la magnificence l’étonna. Le génie l’aida à s’habiller, le transporta de nouveau dans sa chambre et lui demanda s’il n’avait pas d’autres ordres à lui donner.
« Si, répondit Aladin, amène-moi un coursier qui surpasse en beauté les plus beaux des écuries du sultan, et que la selle et les rênes soient dignes de lui. Il me faut aussi vingt esclaves, aussi richement vêtus que ceux qui ont porté mon présent au sultan ; ils marcheront à mes côtés, et vingt autres me précéderont sur deux rangs. En outre, amène à ma mère six servantes richement vêtues, pour l’accompagner. Puis il me faudra dix mille pièces d’or dans dix bourses. Va, et fais vite ! »
Aussitôt qu’Aladin eut donné ces ordres, le génie disparut. Il ne tarda pas à revenir avec les quarante esclaves, dont six portaient chacun une bourse contenant dix mille pièces d’or, et six femmes, dont chacune portait sur la tête, enveloppée dans un tissu d’argent, une robe pour la mère d’Aladin ; il présenta le tout à Aladin.
Celui-ci offrit les six servantes à sa mère, et lui dit que les vêtements qu’elles avaient apportés étaient pour elle. Il lui donna quatre des bourses, et laissa les six autres aux mains des esclaves avec ordre de jeter des pièces à la foule, par poignées, sur leur chemin, jusqu’au palais. Ces six esclaves marchaient devant lui, trois à droite et trois à gauche.
Quand Aladin se fut ainsi préparé à sa première entrevue avec le sultan, il renvoya le génie, monta sur son cheval, et se mit en route. La foule, qui se pressait sur son chemin, remplissait l’air de ses acclamations, surtout chaque fois que les esclaves jetaient des poignées d’or.
Quand Aladin arriva au palais, le sultan fut surpris de le voir plus richement et plus magnifiquement habillé qu’il ne l’avait jamais été lui-même ; il fut aussi impressionné par sa bonne mine et la dignité de ses manières, auxquelles il était loin de s’attendre chez le fils d’une femme de condition aussi humble que la mère d’Aladin. Il l’embrassa avec joie et, quand le jeune homme voulut se jeter à ses pieds, il le retint par la main et le fit asseoir près de son trône.
Peu après, au son des trompettes et de toutes sortes d’instruments, il lui offrit un festin magnifique. Le sultan et Aladin prirent place à une table, et les grands seigneurs de la cour, chacun suivant son rang, s’assirent à des tables séparées. Après le festin, le sultan ordonna de dresser un contrat de mariage entre la princesse Badroulboudour et Aladin. Quand ce fut fait, le sultan demanda à Aladin s’il voulait rester au palais, et terminer les cérémonies du mariage ce jour, là.
« Sire dit Aladin, si grande que soit mon impatience, je sollicite cependant la permission de faire d’abord bâtir un palais qui soit digne de recevoir la princesse, votre fille. Veuillez m’accorder un terrain suffisant, auprès de votre palais, et je veillerai à ce que tout soit fait le plus vite possible. »
Le sultan fit droit à cette requête, et Aladin prit congé de lui avec politesse. Il rentra chez lui, au milieu des acclamations de la foule, qui lui souhaitait bonheur et prospérité. Aussitôt qu’il fut descendu de cheval, il prit la lampe, et fit venir le génie comme d’habitude.
« Génie, dit Aladin, bâtis-moi un palais digne de recevoir la princesse. Qu’il soit du marbre le plus beau. Que les murs en soient d’or massif et de briques d’argent. Que chaque façade ait six fenêtres, dont les treillis soient enrichis de diamants, de rubis et d’émeraudes, si bien qu’ils surpassent tout ce qu’on a jamais vu de plus magnifique en ce genre dans le monde ; mais laisse une fenêtre inachevée. Qu’il y ait une cour intérieure et une cour extérieure devant le palais, ainsi qu’un jardin ; mais, surtout, qu’il y ait une trésorerie et qu’elle soit remplie d’or et d’argent. Qu’il y ait aussi des cuisines et des magasins, des écuries pleines des plus beaux chevaux, et des valets, des officiers, des serviteurs et des esclaves, hommes et femmes, pour composer notre suite, à la princesse et à moi. Va, et exécute mes désirs. »
Quand Aladin donna ces ordres au génie, le soleil était déjà couché. Le lendemain, à l’aube, le génie se présenta, et, en un instant, transporta Aladin au palais qu’il avait fait bâtir. Il le conduisit à travers toutes les chambres pour lui montrer que tout avait été fait comme il’ l’avait ordonné.
Quand les serviteurs du sultan vinrent pour ouvrir les portes, ils furent stupéfaits de voir que là où il n’y avait la veille qu’un jardin, s’élevait un palais magnifique ; pour y arriver on passait sur un tapis splendide, qui partait du palais du sultan. Ils rapportèrent ces étranges nouvelles au grand vizir. Celui-ci en informa le sultan qui s’écria :
« Ce doit être le palais d’Aladin que je lui ai permis de bâtir pour ma fille ! Il a voulu nous surprendre ; voyons un peu quelles merveilles il a pu faire en une seule nuit. »
Aladin était rentré chez lui, et avait prié sa mère d’aller trouver la princesse et de lui dire que le palais serait prêt pour la recevoir dans la soirée. Elle partit, accompagnée de ses six esclaves, dans le même ordre que la veille. Il n’y avait pas longtemps qu’elle était chez la princesse, quand le sultan entra ; il fut bien étonné de voir celle qu’il avait connue sous des vêtements si modestes, parée maintenant plus richement que sa propre fille.
Il en conçut une plus haute opinion d’Aladin, qui entourait sa mère de soins, et partageait avec elle ses richesses et ses honneurs. Après le départ de sa mère, Aladin monta sur son cheval, et, au milieu de son cortège, quitta la maison paternelle pour toujours, et se rendit au palais avec la même pompe que la veille. Il n’oublia pas d’emporter la lampe merveilleuse, à laquelle il devait toute sa fortune, ni de mettre à son doigt l’anneau qui lui avait été donné en talisman.
Le sultan fit à Aladin une réception magnifique, et, le soir, la cérémonie du mariage étant achevée, la princesse prit congé de son père. Le cortège se mit en marche, musique en tête, suivi de cent huissiers royaux ; quatre cents parmi les jeunes pages du sultan portaient des torches dont la lumière, mêlée aux illuminations du palais d’Aladin et du palais du sultan éclairait comme en plein jour. Puis venait la Princesse, portée sur une litière, et accompagnée de la mère d’Aladin, sur une autre litière, suivie de ses servantes. Quand la princesse arriva, Aladin était prêt à la recevoir, à la porte d’honneur. Il la conduisit dans une vaste salle où l’on servit un riche festin. Les plats étaient d’or, et contenaient les mets les plus délicats. Les vases, les bassins et les coupes étaient d’or également et d’un travail admirable. La princesse, éblouie à la vue de tant de richesses réunies en un seul endroit, dit à Aladin :
« Je croyais, prince, que rien au monde n’était aussi beau que le palais de mon père. Mais la vue de cette salle seule suffit pour me montrer que je me trompais. »
Quand le souper fut fini, des danseuses entrèrent, suivant la mode du pays, dansant et chantant des vers à la louange de l’époux et de l’épousée.
Le lendemain matin, Aladin fit préparer un cheval, et se rendit, escorté d’une troupe d’esclaves, au palais du sultan, pour inviter le sultan à venir en personne, déjeuner au palais de la princesse, ainsi que son grand vizir et tous les seigneurs de la cour. Le sultan accepta avec plaisir. En s’approchant du palais d’Aladin, celui-ci fut frappé de sa beauté. Mais quand il fut entré, et qu’il eut vu les fenêtres enrichies de diamants, de rubis et d’émeraudes, sa surprise ne connut plus de bornes. Il dit :
« Ce palais est une des merveilles de l’univers ! Voici des murs d’or et d’argent, des fenêtres de diamants et d’émeraudes ! Mais ce qui me surprend le plus, c’est de voir dans une salle aussi magnifique, une fenêtre inachevée.
— Sire, répondit Aladin, je désirais vous laisser la gloire d’achever cette salle.
— Je suis touché de votre intention, répliqua le sultan, et je vais donner des ordres immédiatement pour qu’on l’achève en effet. »
Quand le festin fut fini, on vint dire au sultan que les joailliers et les orfèvres étaient arrivés ; alors il retourna dans la grande salle et leur montra la fenêtre.
« Je vous ai envoyé chercher, leur dit-il, pour que vous fassiez cette fenêtre pareille aux autres. Examinez-les bien ; et faites toute la diligence possible. »
Les joailliers et les orfèvres examinèrent les vingt-trois fenêtres avec la plus grande attention, et, après s’être consultés, ils retournèrent auprès du sultan et lui dirent :
« Sire, nous sommes tous désireux de mettre tous nos soins et notre habileté à vous obéir ; mais nous ne pouvons fournir assez de joyaux pour un si grand ouvrage.
— J’en ai plus qu’il n’est nécessaire, dit le sultan ; venez à mon palais, et vous pourrez choisir ce qu’il vous faudra. »
Alors il fit apporter ses pierreries, et les joailliers en prirent une grande quantité, surtout celles dont Aladin lui avait fait présent ; mais ils les eurent bientôt employées sans être pour cela beaucoup plus avancés dans leur ouvrage.
Aladin, qui savait que tous les efforts du sultan pour faire la fenêtre pareille aux autres étaient vains, envoya chercher les joailliers et les orfèvres, leur ordonna de défaire ce qu’ils avaient commencé, et de reporter les pierreries au sultan et au vizir. Ils défirent en quelques heures ce qu’ils avaient mis six semaines à faire. Aladin prit la lampe, qu’il portait sur lui, la frotta, et aussitôt le génie apparut.
« Génie, dit, Aladin, je t’avais ordonné de laisser inachevée une des vingt-quatre fenêtres de cette salle, et tu as exécuté mes ordres ponctuellement. Je voudrais, maintenant, que tu fasses cette fenêtre pareille aux autres. »
Le génie disparut. Aladin quitta la grande salle, et, quand il y revint quelques instants plus tard il trouva la fenêtre pareille aux autres, comme il l’avait désiré.
Pendant ce temps, le sultan avait donné ordre qu’on lui amenât son cheval, et il se rendait au palais de son gendre afin de savoir pourquoi Aladin avait commandé qu’on cessât de travailler à l’achèvement de la fenêtre. Aladin vint à sa rencontre, et, le conduisit dans le grand salon, où le sultan vit, à sa grande surprise, que la vingt-quatrième fenêtre était achevée.
« Mon cher fils, dit-il, quel homme vous êtes ! Vous faites les choses les plus étonnantes en un clin d’œil ! Vous n’avez point votre pareil en ce monde ; plus je vous connais, et plus je vous admire. »
Aladin ne restait pas toujours dans son palais. Toutes les fois qu’il sortait, il se faisait accompagner de deux esclaves qui jetaient des poignées de pièces de monnaie à la foule, le long des rues ou sur les places qu’il traversait. Cette générosité lui gagna l’amour du peuple.
Aladin vivait ainsi depuis plusieurs années, quand, un jour, le magicien africain revint. Quelle fut sa surprise en voyant qu’Aladin, au lieu d’être mort dans la caverne, s’en était échappé, et vivait dans la splendeur royale, grâce au génie de la lampe merveilleuse ! Il reconnut bien vite, à la vue du palais du prince Aladin, que, seuls, les génies de la lampe avaient pu accomplir de semblables merveilles ! Il apprit, à sa grande joie, que la lampe était encore dans le palais.
« Eh bien, dit-il en se frottant les mains, j’aurai la lampe, et je renverrai Aladin à son humble condition première. »
Le lendemain, le magicien apprit qu’Aladin était parti depuis trois jours à des chasses qui devaient durer une semaine. Il n’avait pas besoin d’en savoir davantage. Il résolut de mettre ses projets à exécution, sans plus tarder. Il alla acheter une douzaine de lampes en cuivre. Le marchand lui dit qu’il n’en avait pas autant dans sa boutique, mais que, s’il voulait patienter jusqu’au lendemain, il les lui procurerait. Le magicien accepta et lui recommanda d’en prendre de belles et bien luisantes.
Le lendemain, le magicien alla chercher ses douze lampes, paya à l’homme ce qu’il demandait, et, les mettant dans un panier, à son bras, se dirigea vers le palais d’Aladin. Quand il en fut proche, il se mit à crier :
« Qui veut échanger des vieilles lampes contre des lampes neuves ? Qui ? »
Les enfants s’attroupèrent, se mirent à le huer, et le prirent, comme le faisaient d’ailleurs tous les passants, pour un fou, de vouloir échanger des lampes neuves contre des vieilles.
Mais le magicien continuait de crier : « Qui veut échanger des vieilles lampes contre des lampes neuves ? » et il répéta son cri si souvent, tout en marchant de long en large devant le palais, que la princesse, entendant un homme crier, et voyant une grande foule autour de lui, envoya une de ses femmes aux nouvelles.
L’esclave revint, riant de si bon cœur, que la princesse la gronda.
« Madame, dit l’esclave en continuant de rire, qui pourrait s’empêcher de rire, à la vue d’un vieillard, un panier au bras, plein de belles lampes neuves qu’il demande à échanger contre des vieilles ?
— Maintenant que vous parlez de lampes, dit une esclave en entendant ces paroles, je ne sais si la princesse l’a remarqué, mais il y en a une vieille, sur une étagère, dans le cabinet de toilette du prince Aladin, et, quel que soit son possesseur il ne serait pas fâché d’avoir une lampe neuve à la place. S’il plaît à la princesse, elle pourra se donner la satisfaction de vérifier si ce vieillard est assez naïf pour donner une lampe neuve contre une vieille. »
La princesse, qui ne connaissait pas la valeur de la lampe, consentit volontiers, et ordonna à l’esclave d’aller chercher la lampe et de faire l’échange. L’esclave obéit, traversa le vestibule, et ne fut pas plus tôt aux grilles du palais, qu’il vit le magicien ; il l’appela, et, lui montrant la vieille lampe :
« Donnez-moi une lampe neuve en échange de celle-ci » dit-il.
Le magicien ne douta pas un instant que ce ne fût la lampe qu’il voulait. Il l’arracha des mains de l’esclave, et, l’enfouissant dans sa poitrine, présenta son panier au jeune homme, en lui disant de choisir celle qu’il préférait. L’esclave en prit une et l’apporta à la princesse.
Le magicien ne s’attarda pas davantage, et s’éloigna bien vite.
Dès qu’il fut hors de vue, il prit une des rues les moins fréquentées, marcha jusqu’à ce qu’il eût atteint une des portes de la ville, courut à un lieu écarté, et, quand il fit tout à fait nuit, prit la lampe, et se mit à la frotter. Le génie parut et dit :
« Que veux-tu ? Je suis prêt à t’obéir comme ton esclave, et l’esclave de tous ceux qui ont cette lampe entre leurs mains, moi, et les autres esclaves de la lampe.
— Je t’ordonne, répliqua le magicien, de me transporter immédiatement en Afrique, ainsi que le palais que tu as construit, et tous ceux qui sont dedans. »
Aussitôt, le génie transporta le magicien, ainsi que le palais et ses habitants, dans le lieu qui lui avait été désigné.
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