… de Lewis Carroll
… illustré par Arthur Rackham
Texte intégral. Traduction personnelle, inspirée du travail d'Henri Bué, premier traducteur d'Alice en français et ami personnel de Lewis Carroll. Ce texte est publié sous la licence Creative Commons CC BY-NC : Attribution-Pas d'utilisation commerciale.
Illustration de Gwynedd M. Hudson
CHAPITRE IX
Histoire de la Soi-disant Tortue
« Vous ne pourriez imaginer combien je suis heureuse de vous revoir, ma brave vieille ! » dit la Duchesse, passant amicalement son bras sous celui d’Alice, et elles s’éloignèrent ensemble.
Alice était bien contente de la trouver de si bonne humeur, et se dit que c’était peut-être le poivre qui l’avait rendue si méchante lorsqu’elles s’étaient rencontrées dans la cuisine.
« Quand je serai moi-même Duchesse, se dit-elle - avec peu d’espoir cependant -, je n’aurai pas de poivre dans ma cuisine, pas le moindre grain. La soupe peut très bien s’en passer. Cela pourrait bien être le poivre qui rend les gens colériques, continua-t-elle, enchantée d’avoir fait cette découverte ; cela pourrait bien être le vinaigre qui les aigrit ; la camomille qui les rend amers ; et le sucre d’orge et d’autres choses du même genre qui adoucissent le caractère des enfants. Je voudrais bien que tout le monde sache cela : il n’y aurait pas tant d’avarice quant aux sucreries, voyez-vous. »
Elle avait alors complètement oublié la Duchesse, et tressaillit en entendant sa voix tout près de son oreille.
« Vous pensez à quelque chose, ma chère petite, et cela vous fait oublier de parler. Je ne puis pas vous dire à cet instant quelle est la morale de cela, mais je m’en souviendrai tout à l’heure.
— Peut-être n’y en a-t-il pas, se hasarda de dire Alice.
— Bah, bah, mon enfant ! dit la Duchesse. Il y a une morale à tout ; il suffit de la trouver ». Et elle se serrait de plus en plus près d’Alice tout en parlant.
Alice n’aimait pas trop se tenir si près d’elle ; tout d’abord parce que la Duchesse était très laide, et ensuite parce qu’elle était juste assez grande pour appuyer son menton sur l’épaule d’Alice, et c’était un menton très désagréablement pointu. Pourtant elle ne voulait pas être impolie, aussi supporta-t-elle cela de son mieux.
« Le jeu fonctionne peu mieux maintenant, dit-elle, afin de faire en sorte d’alimenter la conversation.
— C’est bien vrai, dit la Duchesse ; et la morale de cela est : ‘Oh ! C’est l’amour, c’est l’amour qui fait tourner le monde !’
— Quelqu’un a dit, murmura Alice, que c’était le fait que chacun s’occupe de ses propres affaires.
— Eh bien ! Cela signifie presque la même chose, dit la Duchesse, qui enfonça son petit menton pointu dans l’épaule d’Alice, en ajoutant : Et la morale de cela est : ‘Il n’y a pas de petites académies’.
— Comme cela lui plaît, pensa Alice, de trouver des morales dans tout !
— Je parie que vous vous demandez pourquoi je ne passe pas mon bras autour de votre taille, dit la Duchesse, après une pause. La raison à cela est que j’ai des doutes quant au caractère de votre flamant. Voulez-vous que je tente l’expérience ?
— Il pourrait vous piquer, répondit Alice, pas désireuse pour un sou que l’expérience soit tentée.
— C’est bien vrai, dit la Duchesse ; les flamants roses et la moutarde piquent tous les deux, et la morale de cela est : ‘Qui se ressemble, s’assemble.’
— Sauf que la moutarde n’est pas un oiseau, répondit Alice.
— Vous avez raison, comme toujours, dit la Duchesse ; avec quelle clarté vous présentez les choses !
— C’est un minéral, je crois, dit Alice.
— Bien sûr que c’est un minéral, dit la Duchesse, qui semblait prête à approuver tout ce qu’Alice disait ; il y a un important filon de moutarde tout près d’ici. Et la morale de cela est : ‘L’audacieux trouve toujours le bon filon’.
— Oh ! Je sais, s’écria Alice, qui n’avait pas fait attention à cette dernière observation, c’est un végétal ; ça n’en a pas l’air, mais c’en est un.
— Je suis tout à fait de votre avis, dit la Duchesse, et la morale de cela est : ‘Soyez ce que vous voudriez sembler être’; ou encore, si vous voulez que cela soit dit en des termes plus simples : ‘Ne t’imagine jamais ne pas être différent de ce que tu pourrais apparaître aux autres : que ce que tu étais, ou aurais pu être, n’était pas différent de ce que tu avais été, qui serait apparu à leurs yeux comme étant différent.
— Cela me paraît plus clair, dit Alice fort poliment, mais il faudrait qu’on me l’écrive, car je n’arrive pas à suivre si vous vous contentez de le dire.
— Cela n’est rien auprès de ce que je pourrais dire, si je voulais, répondit la Duchesse d’un ton satisfait.
— Je vous en prie, ne vous donnez pas la peine de poursuivre plus avant votre explication, dit Alice.
— Oh ! Ne parlez pas de peine, dit la Duchesse ; je vous offre en cadeau tout ce que j’ai dit jusqu’à présent.
— Voilà un cadeau qui n’a pas coûté cher ! pensa Alice. Je suis bien contente qu’on ne fasse pas de cadeau d’anniversaire comme cela ! Mais elle ne se hasarda pas à le dire tout haut.
— Encore à réfléchir ? demanda la Duchesse, avec un nouveau coup de son petit menton pointu.
— J’ai bien le droit de réfléchir, dit Alice brusquement, car elle commençait à se sentir un peu ennuyée.
— À peu près le même droit, dit la Duchesse, que les cochons de voler, et la mo … »
Mais ici, au grand étonnement d’Alice, la voix de la Duchesse s’éteignit au milieu de son mot favori, « morale », et le bras qui était passé sous le sien se mit à trembler. Alice leva les yeux et vit la Reine, debout en face d’elles, les bras croisés, fronçant les sourcils d’un air de tempête.
« Quelle belle journée, Votre Majesté ! fit la Duchesse, d’une voix basse et tremblante.
— Je pense qu’il est préférable de vous avertir, cria la Reine, tout en trépignant. Votre tête ou vous-même, doit avoir déguerpi, et ce pas plus tard que maintenant ! Choisissez ! »
La Duchesse eut bientôt fait son choix : elle disparut en un clin d’œil.
« Reprenons le jeu, dit la Reine à Alice ; et Alice, trop effrayée pour souffler mot, la suivit lentement vers le terrain de croquet.
Les autres invités, profitant de l’absence de la Reine, se reposaient à l’ombre, mais sitôt qu’ils la virent, ils se hâtèrent de retourner au jeu, la Reine leur faisant simplement observer qu’un instant de retard leur coûterait la vie.
Tant que dura la partie, la Reine ne cessa de se quereller avec les autres joueurs et de crier : « Qu’on coupe la tête à celui-ci ! », ou « Qu’on coupe la tête à celle-là ! » Ceux qu’elle condamnait étaient arrêtés par les soldats qui, bien entendu, ne pouvaient plus servir d’arches. De sorte qu’au bout d’une demi-heure environ, il ne restait plus aucune arche disponible, et tous les joueurs, à l’exception du Roi, de la Reine, et d’Alice, étaient sous bonne garde, et condamnés à avoir la tête tranchée.
La Reine cessa alors de jouer, hors d’haleine, et dit à Alice :
« Avez-vous déjà rencontré la Soi-disant Tortue ?
— Non, dit Alice ; je ne sais même pas ce qu’est une Soi-disant Tortue.
— C’est avec cela qu’on fait la soupe à la Soi-disant Tortue, dit la Reine.
— Je n’en ai jamais vu, et c’est la première fois que j’en entends parler, dit Alice.
— Dans ce cas, venez ! dit la Reine. Elle vous contera son histoire. »
Comme elles s’en allaient ensemble, Alice entendit le Roi dire à voix basse à toute l’assemblée :
« Vous êtes tous graciés.
— Eh bien, c’est une bonne chose ! » se dit-elle, car elle s’était sentie bien malheureuse à l’annonce du grand nombre d’exécutions que la Reine avait ordonnées.
Elles rencontrèrent bientôt un Griffon, étendu au soleil et dormant profondément. - Si vous ne savez pas ce qu’est qu’un Griffon, regardez le dessin -.
« Debout, gros paresseux ! dit la Reine, et conduisez cette petite demoiselle à la Soi-disant Tortue, pour qu’elle l’entende raconter son histoire. Quant à moi, il faut que je m’en retourne pour veiller à quelques exécutions que j’ai ordonnées. »
Et elle s’en alla, laissant Alice seule avec le Griffon. L’aspect de cet animal ne plaisait pas trop à Alice, mais, tout bien considéré, elle pensa qu’elle ne courait pas beaucoup plus de risques en restant auprès de lui, qu’en suivant cette reine féroce.
Le Griffon se leva et se frotta les yeux, puis il observa la Reine jusqu’à ce que celle-ci ait disparu ; et il se mit ensuite à glousser :
« Quelle blague ! dit le Griffon, à moitié pour lui-même, à moitié à l’intention d’Alice.
— Où est la blague ? demanda Alice.
— Eh bien, elle ! dit le Griffon. Tout est dans sa tête ; elle n’exécute jamais personne, vous savez. Allez, venez !
— Tout le monde dit : ‘Venez’, par ici, pensa Alice, tout en suivant lentement le Griffon. Jamais de ma vie on ne m’a donné autant d’ordres, non, jamais ! »
Ils n’eurent pas à aller bien loin avant d’apercevoir, à quelque distance de là, la Soi-disant Tortue, assise, triste et solitaire, sur un petit récif. Et à mesure qu’ils approchaient, Alice pouvait l’entendre qui soupirait comme si son cœur allait se fendre ; elle la plaignit sincèrement.
« Pourquoi est-elle si malheureuse ? demanda-t-elle au Griffon. Et le Griffon répondit, presque dans les mêmes termes qu’auparavant :
— Tout est dans sa tête, elle n’a aucune raison d’être malheureuse, voyez-vous. Allez, venez ! »
Ainsi ils s’approchèrent de la Soi-disant Tortue, qui les regarda avec de grands yeux pleins de larmes, sans dire un mot.
« Cette petite demoiselle, dit le Griffon, eh bien, elle voudrait connaître votre histoire.
— Je vais la lui raconter, dit la Soi-disant Tortue, d’une voix grave et caverneuse. Asseyez-vous tous deux, et ne prononcez pas un mot avant que j’aie fini. »
Ils s’assirent donc, et pendant quelques minutes, personne ne parla. Alice pensait : « Je ne vois pas comment elle pourra jamais finir, si elle ne commence pas. » Mais elle attendit patiemment.
« Autrefois, dit enfin la Soi-disant Tortue, j’étais une vraie Tortue. »
Ces paroles furent suivies d’un long silence, interrompu seulement de temps à autre par cette exclamation du Griffon : « Hjckrrh ! », et les sanglots continuels de la Soi-disant Tortue. Alice était sur le point de se lever et de dire : « Merci pour votre intéressante histoire », mais elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il devait sûrement y avoir autre chose. Elle resta donc tranquille sans rien dire.
« Quand nous étions petits, continua la Soi-disant Tortue d’un ton plus calme, quoiqu’elle laissât encore de temps à autre échapper un sanglot, nous allions à l’école au fond de la mer. Nous étions instruits par une vieille tortue ; que nous appelions Tortresse.
— Pourquoi l’appeliez-vous Tortresse, si ce n’était pas son nom ? demanda Alice.
— Nous l’appelions Tortresse parce que c’était notre maîtresse, dit la Soi-disant Tortue avec colère. Décidément, vous êtes bien bornée !
— Vous devriez avoir honte de poser une question si simple ! » ajouta le Griffon ; et tous deux gardèrent le silence, les yeux fixés sur la pauvre Alice, qui aurait souhaité disparaître sous terre. Enfin le Griffon dit à la Soi-disant Tortue :
« Allez, ma vieille ! On ne va pas y passer la journée ! Et elle continua en ces termes :
— Oui, nous allions à l’école au fond de la mer, bien que cela vous semble difficile à croire.
— Je n’ai pas dit cela, interrompit Alice.
— Vous l’avez dit, répondit la Soi-disant Tortue.
— Taisez-vous donc, ajouta le Griffon, avant qu’Alice ait pu reprendre la parole. La Soi-disant Tortue continua :
— Nous recevions la meilleure éducation possible ; au fait, nous allions tous les jours à l’école.
— Moi aussi, j’y vais tous les jours, dit Alice ; il n’y a pas de quoi être si fière.
— Et vous avez des options ? demanda la Soi-disant Tortue avec un peu d’anxiété.
— Oui, dit Alice, nous apprenons en plus, l’anglais et la musique.
— Et le blanchissage ? dit la Soi-disant Tortue.
— Certainement pas ! dit Alice indignée.
— Ah ! Alors votre école ne fait pas vraiment partie des meilleures, dit la Soi-disant Tortue, d’un ton d’immense soulagement. Dans la nôtre, on pouvait lire au bas du prospectus : ‘Options : anglais, musique, ET blanchissage’.
— Vous ne deviez pas en avoir grand besoin, dit Alice, puisque vous viviez au fond de la mer.
— Je n’avais pas les moyens de suivre ce cours, dit la Soi-disant Tortue en soupirant ; je n’avais pris que les cours ordinaires.
— Qu’est-ce-que c’était ? demanda Alice.
— Pour commencer, la lasure et l’ébrasure, cela va de soi ; répliqua la Soi-disant Tortue, et puis les différentes branches de l’arithmétique : l’ambition, l’inattention, l’obscurification, et la dérision.
— Je n’ai jamais entendu parler d’‘obscurification’, se hasarda à dire Alice. Qu’est-ce que c’est ? »
Le Griffon leva les deux pattes en l’air en signe d’étonnement.
« Vous n’avez jamais entendu parler d’obscurifier ! s’écria-t-il. Vous savez ce que signifie ‘clarifier’, je suppose ? »
— Oui, dit Alice en hésitant : cela veut dire … rendre … une chose … plus claire.
— Eh bien alors, continua le Griffon, si vous ne comprenez pas ce que veut dire ‘obscurifier’, vous êtes une véritable gourde. »
Alice ne se sentit pas incitée à poser de nouvelles questions à ce sujet ; elle se tourna donc vers la Soi-disant Tortue, et lui dit :
« Qu’appreniez-vous d’autre ?
— Eh bien, il y avait le Répertoire, répondit la Soi-disant Tortue en comptant sur ses nageoires, Répertoire ancien et Répertoire moderne, ainsi que la marinologie, et puis la Langueur ; le maître de Langueur était un vieux congre, qui venait une fois par semaine ; il nous apprenait à Tergiverser, à Délayer, et à Remettre au sous-marin.
— Qu’est-ce que cela ? dit Alice.
— Ah ! Je ne peux pas vous en faire la démonstration moi-même, dit la Soi-disant Tortue, je suis trop raide, et le Griffon ne l’a quant à lui, jamais appris.
— Je n’en avais pas le temps, dit le Griffon, mais j’ai cependant suivi les cours classiques ; et là, le professeur était un vieux crabe.
— Je n’ai jamais suivi ses cours, dit la Soi-disant Tortue avec un soupir ; il se disait qu’il enseignait le Crachin et le Sec.
— C’est bien ça, c’est bien ça, dit le Griffon, en soupirant à son tour ; et les deux créatures se cachèrent la figure dans leurs pattes.
— Combien d’heures de cours aviez-vous par jour ? dit Alice vivement, pour changer de conversation.
— Dix heures, le premier jour, dit la Soi-disant Tortue ; neuf heures, le second, et ainsi de suite.
— Quel singulier emploi du temps ! s’écria Alice.
— C’est pour cette raison qu’on les appelle ‘cours’, dit le Griffon, c’est parce qu’ils ra-cour-cissent de jour en jour ».
C’était là pour Alice une idée toute nouvelle ; elle y réfléchit un peu avant de faire une autre observation.
« Alors le onzième jour devait être un jour de congé ?
— Bien entendu, répondit la Soi-disant Tortue.
— Et comment procédiez-vous le douzième jour ? s’empressa de demander Alice.
— En voilà assez sur les leçons, dit le Griffon intervenant d’un ton très ferme ; parlez-lui des jeux, à présent ».
CHAPITRE X
Le quadrille de homards
La Soi-disant Tortue soupira profondément et passa le dos d’une de ses nageoires sur ses yeux. Elle regarda Alice et s’efforça de parler, mais les sanglots étouffèrent sa voix pendant une ou deux minutes.
« On dirait qu’elle a un os dans le gosier », dit le Griffon, et il se mit à la secouer, et à lui donner des tapes dans le dos. Enfin la Soi-disant Tortue retrouva sa voix, et, de grosses larmes coulant le long de ses joues, elle continua :
« Peut-être n’avez-vous pas beaucoup vécu au fond de la mer ?
— Non, dit Alice
— Et peut-être n’avez-vous jamais été présentée à un homard ? »
- Alice allait dire : « Il m’est arrivé une fois, de goûter … », mais elle se reprit vivement, et dit : « Non, jamais ». -
« De sorte que vous ne pouvez pas du tout vous imaginer quelle chose délicieuse est un quadrille de homards.
— Non, vraiment, dit Alice. De quelle sorte de danse s’agit-il ?
— D’abord, dit le Griffon, on forme un rang le long du rivage …
— On forme deux rangs ! cria la Soi-disant Tortue : les phoques, les tortues, les saumons, et ainsi de suite. Puis, lorsqu’on a débarrassé le paysage de toutes les méduses …
— Cela prend ordinairement pas mal de temps, dit le Griffon.
— On avance de deux pas.
— Chacun ayant un homard pour danseur ! cria le Griffon.
— Cela va sans dire, dit la Soi-disant Tortue. Avancez de deux pas, vers votre partenaire …
— Changez de homards, et revenez dans le même ordre, continua le Griffon.
— Et puis, vous savez, continua la Soi-disant Tortue, vous jetez les …
— Les homards ! cria le Griffon, en faisant un bond en l’air.
— Aussi loin dans la mer que vous le pouvez …
— Vous nagez à leur poursuite ! hurla le Griffon.
— Vous faites un saut périlleux dans la mer ! cria la Soi-disant Tortue, en gambadant de tous côtés comme une folle.
— Changez encore de homards !! brailla le Griffon, de toutes ses forces.
— Revenez à terre, et … c’est là la première figure », dit la Soi-disant Tortue, baissant tout à coup la voix. Et ces deux êtres, qui pendant tout ce temps avaient bondi de tous côtés comme des fous, se rassirent bien tristement et bien sagement, en regardant Alice.
« Cela doit être une bien jolie danse, dit timidement Alice.
— Voudriez-vous en voir une petite démonstration ? dit la Soi-disant Tortue.
— Avec grand plaisir, dit Alice.
— Allons, essayons la première figure, dit la Soi-disant Tortue au Griffon. Nous pouvons nous passer des homards, vous savez. Lequel de nous deux va chanter ?
— Oh ! Chantez, vous, dit le Griffon ; moi j’ai oublié les paroles ».
Ils se mirent donc à danser solennellement tout autour d’Alice, lui marchant de temps à autre sur les pieds quand ils approchaient trop près, et remuant leurs pattes de devant pour battre la mesure, tandis que la Soi-disant Tortue chantait très lentement et très tristement, sur l’air de « Nous n’irons plus au bois » :
« Nous n’irons plus à l’eau,
Si tu n’avances tôt ;
Ce thon bien trop pressé
Va tous nous écraser.
Colimaçon danse,
Entre dans la danse ;
Sautons, dansons,
Avant de faire un plongeon.
Je ne veux pas danser,
Je me f’rai fracasser.
‘Oh ! dit la limande,
J’en suis bien friande’.
Colimaçon danse,
Entre dans la danse ;
Sautons, dansons,
Avant de faire un plongeon.
Je ne veux pas plonger,
Je ne sais pas nager.
Le Homard et l’bateau
D’secours te t’iront d’l’eau.
Colimaçon danse,
Entre dans la danse ;
Sautons, dansons,
Avant de faire un plongeon.
— Merci. Ce fut un spectacle très instructif, dit Alice, enchantée que ce fût enfin terminé ; et j’aime beaucoup également cette curieuse chanson à propos d’une limande !
— Oh ! Quant aux limandes, dit la Soi-disant Tortue, elles … vous les avez vues, sans doute ?
— Oui, dit Alice, je les ai souvent vues à dî … Elle s’arrêta tout court.
— Je ne sais pas où peut bien se situer cette contrée de Di, reprit la Soi-disant Tortue ; mais, puisque vous les avez vues si souvent, vous devez savoir à quoi elles ressemblent.
— Je le pense, répliqua Alice, pensivement. Elles ont la queue dans la bouche, et elles sont toutes recouvertes chapelure.
— Vous vous trompez au sujet de la chapelure, dit la Soi-disant Tortue : elle ne pourrait pas tenir dessus dans la mer, mais elles ont bien la queue dans la bouche, et la raison en est que … Ici la Soi-disant Tortue bâilla et ferma les yeux. Dites-lui la raison, et tout ce qui s’ensuit, dit-elle au Griffon.
— La raison, c’est que les limandes, dit le Griffon, voulurent absolument aller danser avec les homards. Donc, on les jeta à la mer. Donc, elles durent tomber très, très loin. Donc, leurs queues se retrouvèrent prisonnières dans leurs bouches. Donc, elles ne purent plus les en retirer. Voilà tout.
— Merci, dit Alice, c’est très intéressant ; je n’en avais jamais tant appris sur le compte des limandes.
— Je peux vous en dire davantage, si vous le souhaitez, dit le Griffon. Savez-vous pourquoi on les appelle des limandes ?
— Je ne me suis jamais posée la question, dit Alice. Pourquoi ?
— Parce qu’elles font les bottines et les souliers », répondit le Griffon d’un ton très solennel.
Alice était complètement déconcertée : « Elles font les bottines et les souliers », répéta-t-elle, sans comprendre.
« Voyons, avec quoi vos souliers sont-ils faits ? Je veux dire, qu’est-ce-qui les rend si brillants ? »
Alice baissa les yeux pour les regarder, et réfléchit un moment avant de répondre :
« Je pense qu’on les fait briller en utilisant du cirage.
— Sous la mer, les bottines et les souliers sont lustrés à la limande douce, maintenant vous le savez, dit le Griffon d’une voix grave.
— Et qui les fabrique ? dit Alice, sur un ton d’intense curiosité.
— Les harengs y travaillent sous bonne surveillance. N’avez-vous jamais entendu crier ‘Trime, hareng !’ au bord de la mer ? N’importe quelle crevette aurait pu vous dire cela.
— Si j’avais été à la place de la limande, dit Alice, dont les pensées vagabondaient toujours au rythme de la chanson, j’aurais dit au thon : reculez, s’il vous plaît, nous ne désirons pas votre présence !
— Elle n’aurait pas pu faire cela, dit la Soi-disant Tortue. Aucun poisson bien élevé ne dirait quoi que ce soit sans adopter le thon qu’il faut.
— C’est vrai ? dit Alice, très surprise.
— Bien sûr que oui, répondit la Soi-disant Tortue. Voyez-vous, si un poisson venait me voir pour m’annoncer qu’il faisait son entrée dans le monde, je lui rappellerais aussitôt d’adapter son thon et ses paroles aux personnes qu’il rencontrerait.
— Vous pensez que le ton a une telle importance ? demanda Alice.
— Je pense ce que je dis, répliqua la Soi-disant Tortue, vexée.
— Je propose, dit le Griffon, que vous nous racontiez quelques-unes de vos aventures.
— Je pourrais vous conter mes aventures à partir de ce matin, dit Alice un peu intimidée ; mais il est inutile de parler de la journée d’hier, car j’étais une personne tout à fait différente alors.
— Expliquez-nous cela, dit la Soi-disant Tortue.
— Non, non, les aventures d’abord, dit le Griffon d’un ton impatient ; les explications prennent toujours un temps fou ».
Alice commença donc à leur conter ses aventures depuis le moment où elle avait vu le Lapin Blanc pour la première fois. Au début, elle fut un peu troublée : les deux créatures se tenaient si près d’elle, une de chaque côté, et ouvraient de si grands yeux et une si grande bouche ! Mais elle reprenait courage à mesure qu’elle parlait. Les auditeurs restèrent fort tranquilles jusqu’à ce qu’elle arrivât au moment de son histoire où elle avait eu à réciter à la chenille : « Vous êtes vieux, Père Guillaume », et où les mots lui étaient venus tout de travers. C’est alors que la Soi-disant Tortue poussa un long soupir en disant :
« C’est bien étrange.
— Tout cela est on ne peut plus étrange, dit le Griffon.
— Tout de travers, répéta la Soi-disant Tortue d’un air rêveur. Je voudrais bien l’entendre réciter quelque chose à présent. Dites-lui de s’y mettre ».
Elle regardait le Griffon comme si elle pensait qu’il avait une quelconque autorité sur Alice.
« Levez-vous, et récitez : ‘C’est la voix du homard’, dit le Griffon.
— Ces créatures n’arrêtent pas de vous donner des ordres, et de vous faire réciter des leçons ! pensa Alice ; je pourrais aussi bien être à l’école ».
Cependant elle se leva et se mit à réciter ; mais elle avait la tête si pleine du Quadrille de Homards, qu’elle savait à peine ce qu’elle disait, et que les mots lui venaient tout drôlement :
« C’est la voix du homard ; c’est lui que j’entends dire :
Vite ! Du sucre en poudre, on m’a trop fait roussir !
Comme un canard ses sourcils, il use de son nez,
Pour élaguer son corsage, et écarter les pieds.
Quand la marée est basse, c’est un vrai boute en train.
Qui clame à tue tête son mépris des requins.
Mais quand la marée monte, et que ceux-ci menacent,
De peur le homard tremble, et devant eux s’efface.
— C’est différent de ce que je récitais quand j’étais petit, dit le Griffon.
— Je ne l’avais encore jamais entendu, dit la Soi-disant Tortue ; mais cela me fait l’effet d’un fameux galimatias ».
Alice ne dit rien ; elle s’était rassise, le visage dans les mains, se demandant si jamais les choses reprendraient un jour leur cours naturel.
« Je voudrais bien qu’on me l’expliquât, dit la Soi-disant Tortue.
— Elle ne peut pas l’expliquer, dit le Griffon vivement. Continuez, récitez les vers suivants.
— Mais, ‘écarter les pieds’, continua opiniâtrement la Soi-disant Tortue. Comment peut-il faire cela avec son nez ?
— C’est la première position de la valse, dit Alice. Mais tout cela l’embarrassait beaucoup, et il lui tardait de changer de conversation.
— Récitez les vers suivants, répéta le Griffon avec impatience ; ça commence par : ‘Passant dans le jardin’ ».
Alice n’osa pas désobéir, bien qu’elle fût sûre que les mots allaient lui venir tout de travers. Elle continua donc d’une voix tremblante :
« Passant dans le jardin, sans le vouloir j’entrevis,
Le hibou et la panthère partageant un clafoutis.
La panthère avala tout, jusqu’à la moindre miette,
Alors que le hibou dut se contenter de l’assiette.
Le repas terminé, le hibou, des compères,
Fut celui invité à garder les cuillères.
Alors que s’emparant des couteaux et fourchettes,
La panthère, en grognant, interrompit la fête.
— À quoi bon répéter tout ce galimatias, interrompit la Soi-disant Tortue, si vous n’expliquez rien au fur et à mesure ? C’est, de loin, ce que j’ai entendu de plus confus.
— Oui, je crois que vous feriez bien d’en rester là, dit le Griffon ; et Alice ne demanda pas mieux.
— Si nous essayions une autre figure du Quadrille de Homards ? continua le Griffon. Ou bien, préférez-vous que la Soi-disant Tortue vous chante quelque chose ?
— Oh ! Une chanson, s’il vous plaît ; ce serait si gentil de sa part, répondit Alice, avec tant d’empressement que le Griffon dit d’un air un peu offensé :
— Hum ! Chacun son goût ! Chantez-lui ‘La Soupe à la Tortue’, d’accord ma vieille ? »
La Soi-disant Tortue poussa un profond soupir et commença, d’une voix de temps en temps étouffée par les sanglots : - sur l’air de « Mon beau sapin » -
« Ô doux potage,
Glorieuse soupe !
Ensemble pour ton partage !
Dans ma soupière,
Plonger ma cuillère,
Est un bonheur
Qui comble mon cœur.
Ô doux potage,
Glorieuse soupe !
Tu nous donne courage !
Gibier, volaille,
Lièvres, perdreaux,
Rien qui te vaille,
Pas même les pruneaux !
Ô doux potage,
Glorieuse soupe !
Ensemble pour ton partage !
— Chantons à nouveau le refrain ! cria le Griffon ; et la Soi-disant Tortue venait de le reprendre, quand un cri : ‘Le procès va commencer !’, se fit entendre au loin.
— Venez donc ! cria le Griffon ; et, prenant Alice par la main, il se mit à courir sans attendre la fin de la chanson.
— Qu’est-ce que c’est que ce procès ? demanda Alice hors d’haleine ; mais le Griffon se contenta de répondre :
— Venez donc ! », en courant de plus belle, tandis que leur parvenaient, de plus en plus faibles, apportées par la brise qui les poursuivait, ces paroles pleines de mélancolie :
Glorieuse soupe !
Ensemble pour ton partaaaage !
CHAPITRE XI
Qui a dérobé les tartes ?
Quand ils arrivèrent, le Roi et la Reine de Cœur étaient assis sur leur trône, entourés d’une nombreuse assemblée : toutes sortes de petits oiseaux et d’autres bêtes, ainsi que le paquet de cartes tout entier. Le Valet, chargé de chaînes, gardé de chaque côté par un soldat, se tenait debout devant le trône, et près du roi se trouvait le Lapin Blanc, tenant d’une main une trompette et de l’autre un rouleau de parchemin. Au beau milieu de la salle, se dressait une table sur laquelle on voyait un grand plat de tartes. Elles avaient l’air si bonnes, qu’Alice eut faim rien qu’à les regarder.
« Je voudrais bien que le procès soit terminé, pensa-t-elle, et qu’on serve les rafraîchissements ».
Mais cela ne paraissait guère probable, aussi se mit-elle à regarder tout autour d’elle pour passer le temps.
C’était la première fois qu’Alice se trouvait dans une cour de justice, mais elle en avait lu des descriptions dans des livres, et elle fut toute contente de voir qu’elle savait le nom de presque tout ce qui s’y trouvait.
« Voilà le juge, se dit-elle ; je le reconnais à sa grande perruque ».
Le juge, disons-le en passant, était le Roi, et, comme il portait sa couronne par-dessus sa perruque - regardez l’illustration si vous voulez savoir comment il s’était arrangé -, il n’avait pas du tout l’air d’être à son aise, et cela ne lui allait pas bien du tout.
« Et voilà le banc du jury, pensa Alice ; et ces douze créatures, - elle était forcée de dire ‘créatures’, vous comprenez, car quelques-uns étaient des mammifères et quelques autres des oiseaux -, je suppose que ce sont les jurés ».
Elle se répéta ce dernier mot deux ou trois fois, car elle en était assez fière : pensant avec raison que bien peu de petites filles de son âge savaient ce que cela veut dire.
Les douze jurés étaient tous très occupés à écrire sur des ardoises.
« Que font-ils ? » murmura Alice à l’oreille du Griffon. Ils ne peuvent rien avoir à écrire avant que le procès ait commencé.
— Ils inscrivent leur nom, répondit de même le Griffon, de peur de l’oublier avant la fin du procès.
— Les imbéciles ! » s’écria Alice d’un ton indigné ; mais elle se retint bien vite, car le Lapin Blanc cria :
« Silence dans l’auditoire ! »
Et le Roi, mettant ses lunettes, regarda vivement autour de lui pour voir qui avait parlé.
Alice pouvait voir, aussi clairement que si elle eût regardé par-dessus leurs épaules, que tous les jurés étaient en train d’écrire « les imbéciles », sur leurs ardoises, et elle pouvait même distinguer que l’un d’eux ne savait pas écrire « imbécile », et qu’il était obligé d’interroger son voisin.
« Leurs ardoises seront dans un bel état avant la fin du procès ! » pensa Alice.
Le crayon d’un des jurés grinçait ; Alice, vous le pensez bien, ne pouvait pas supporter cela ; elle fit le tour de la salle, arriva derrière lui, et trouva très vite l’occasion de lui confisquer le crayon. Ce fut si promptement fait que le pauvre petit juré - c’était Bill, le lézard -, n’arrivait pas à comprendre ce qu’il était devenu. Après avoir cherché partout, il fut obligé d’écrire avec un doigt tout le reste du jour, et cela était fort inutile, puisqu’il ne laissait aucune marque sur l’ardoise.
« Héraut, lisez l’acte d’accusation ! » dit le Roi.
Sur ce, le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et puis, déroulant le parchemin, lut ainsi ce qui suit :
La Reine de Cœur a mis au four des tartes
Par un beau matin d’été
Mais le valet de Cœur a chapardé ces tartes
Avant de décamper.
« Délibérez, dit le Roi aux jurés.
— Pas encore, pas encore, interrompit vivement le Lapin ; il y a beaucoup de choses à faire auparavant !
— Appelez le premier témoin, dit le Roi ; et le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et cria :
— Premier témoin ! »
Le premier témoin était le Chapelier. Il entra, tenant d’une main une tasse de thé et de l’autre un bout de pain beurré.
« Veuillez m’excuser, Votre Majesté, d’apporter cela ici ; mais je n’avais pas tout à fait fini de prendre mon thé lorsqu’on est venu me chercher.
— Vous auriez dû avoir terminé, dit le Roi ; quand avez-vous commencé ? »
Le Chapelier regarda le Lièvre de Mars, qui l’avait suivi à l’intérieur du tribunal, bras dessus bras dessous avec le Loir.
« Le quatorze mars, me semble-t-il, dit-il.
— Le quinze ! dit le Lièvre de Mars.
— Le seize ! ajouta le Loir.
— Ecrivez cela », dit le Roi aux jurés.
Les jurés s’empressèrent d’écrire les trois dates sur leurs ardoises ; puis les additionnèrent, et transformèrent le résultat obtenu en francs et centimes.
« Ôtez votre chapeau, dit le Roi au Chapelier.
— Il n’est pas à moi, dit le Chapelier.
— Volé ! s’écria le Roi en se tournant du côté des jurés, qui s’empressèrent de prendre note du fait.
— Je les conserve pour les vendre, ajouta le Chapelier, à titre d’explication. Je n’en ai aucun à moi ; je suis chapelier ».
Ici la Reine mit ses lunettes, et se mit à regarder fixement le Chapelier, qui devint pâle et tremblant.
« Faites votre déposition, dit le Roi ; et arrêtez de vous agiter ; sinon je vous fais exécuter sur-le-champ. »
Cela ne parut pas du tout encourager le témoin ; il ne cessait de passer d’un pied sur l’autre en regardant la Reine d’un air inquiet, et, dans son trouble, il mordit à pleines dents dans la tasse, au lieu de mordre dans la tartine de beurre.
Juste à ce moment-là, Alice éprouva une étrange sensation qui l’embarrassa beaucoup, jusqu’à ce qu’elle ait compris ce dont il s’agissait : elle recommençait à grandir. Elle pensa d’abord à se lever et à quitter la cour : mais, réflexion faite, elle décida de rester où elle était, tant qu’il y aurait de la place pour elle.
« Ne poussez donc pas comme ça, dit le Loir, qui était assis à côté d’elle, j’arrive à peine à respirer.
— Je n’y peux rien, dit Alice doucement ; je suis en train de grandir.
— Vous n’avez pas le droit de grandir ici, dit le Loir.
— Ne dites pas de sottises, répliqua Alice plus hardiment ; vous savez pertinemment que vous grandissez également.
— Oui, mais je grandis à un rythme raisonnable, moi, dit le Loir ; et non de cette façon ridicule ».
Et il se leva en boudant, et passa de l’autre côté de la salle.
Pendant tout ce temps-là, la Reine n’avait pas cessé de fixer son regard sur le Chapelier, et, comme le Loir traversait la salle, elle dit à un des officiers du tribunal
« Apportez-moi la liste des chanteurs du dernier concert ».
Sur quoi, le malheureux Chapelier se mit à trembler si fortement qu’il en perdit ses deux souliers.
« Faites votre déposition, répéta le Roi en colère ; ou bien je vous fais exécuter, que vous soyez troublé ou non !
— Je suis un pauvre homme, Votre Majesté, fit le Chapelier d’une voix tremblante ; et il n’y avait guère qu’une semaine ou deux que j’avais commencé à prendre mon thé, et avec ça les tartines devenaient si minces, et le tremblotement du thé …
— Le tremblotement du quoi ? dit le Roi.
— Ça a commencé par le thé, répondit le Chapelier.
— Bien sûr que trembloter commence par un T, coupa le Roi brusquement. Me prenez-vous pour un âne ? Poursuivez !
— Je suis un pauvre homme, continua le Chapelier ; et après ça, la plupart des choses se sont mises à trembloter ; sauf que le Lièvre de Mars a dit …
— C’est faux ! s’écria le Lièvre de Mars, l’interrompant en toute hâte.
— C’est vrai ! cria le Chapelier.
— Je le nie ! cria le Lièvre de Mars.
— Il le nie ! dit le Roi. Passez là-dessus.
— Eh bien ! Dans tous les cas, le Loir a dit … », continua le Chapelier, regardant autour de lui avec inquiétude pour voir s’il nierait aussi ; mais le Loir ne nia rien, car il dormait profondément.
« Après cela, continua le Chapelier, je coupai d’autres tartines de beurre.
— Mais, qu’a dit le Loir ? demanda un des jurés.
— C’est ce que je ne peux pas me rappeler, dit le Chapelier.
— Vous devez vous rappeler, fit observer le Roi ; ou bien je vous fais exécuter.»
Le malheureux Chapelier laissa tomber sa tasse et sa tartine beurrée, et mit un genou à terre.
« Je suis un pauvre homme, Votre Majesté ! commença-t-il.
— Vous êtes surtout un piètre orateur », dit le Roi.
À ce moment là, un des cochons d’Inde applaudit, et fut immédiatement réprimé par un des huissiers. - Comme ce mot est assez difficile, je vais vous expliquer comment cela se fit. Ils avaient un grand sac de toile qui se fermait à l’aide de deux ficelles attachées à l’ouverture ; dans ce sac ils firent glisser le cochon d’Inde la tête la première, puis ils s’assirent dessus -.
« Je suis contente d’avoir vu cela, pensa Alice. J’ai souvent lu dans les journaux, à la fin des procès : ‘Il y eut quelques tentatives d’applaudissements, qui furent aussitôt réprimées par les huissiers’, et je n’avais jamais compris jusqu’à présent ce que cela voulait dire.
— Si c’est là tout ce que vous savez de l’affaire, vous pouvez vous prosterner, continua le Roi.
— Je ne puis me prosterner plus bas, dit le Chapelier ; je suis déjà par terre.
— Alors vous n’avez qu’à vous asseoir », répondit le Roi.
A ce moment là, l’autre cochon d’Inde applaudit, et fut réprimé.
« Bon, cela met fin aux cochons d’Inde ! pensa Alice. Maintenant tout va aller mieux.
— J’aimerais bien aller finir de prendre mon thé, dit le Chapelier, en lançant un regard inquiet sur la Reine, qui lisait la liste des chanteurs.
— Vous pouvez vous retirer, dit le Roi ; et le Chapelier se hâta de quitter le tribunal, sans même prendre le temps de mettre ses souliers.
— Et coupez-lui la tête à l’extérieur, ajouta la Reine, s’adressant à un des huissiers ; mais le Chapelier était déjà bien loin avant que l’huissier arrivât à la porte.
— Appelez le témoin suivant », dit le Roi.
Le témoin suivant était la cuisinière de la Duchesse ; elle tenait en main la poivrière, et Alice devina qui c’était, même avant qu’elle entrât dans la salle, en voyant éternuer, tout à coup et tous à la fois, les gens qui se trouvaient près de la porte.
« Faites votre déposition, dit le Roi.
— Non ! » dit la cuisinière.
Le Roi regarda d’un air inquiet le Lapin Blanc, qui lui dit à voix basse :
« Il faut que Votre Majesté interroge ce témoin-là contradictoirement.
— Puisqu’il faut, il faut », dit le Roi, d’un ton mélancolique ; et, après avoir croisé les bras et froncé les sourcils en regardant la cuisinière, au point que les yeux lui étaient presque complètement rentrés dans la tête, il dit d’une voix creuse :
« Avec quoi fait-on les tartes ?
— Avec du poivre, principalement, dit la cuisinière.
— Avec de la mélasse, dit une voix endormie derrière elle.
— Saisissez ce Loir au collet ! cria la Reine. Coupez la tête à ce Loir ! Mettez ce Loir à la porte du tribunal ! Réprimez-le ! Pincez-le ! Arrachez-lui ses moustaches ! »
Pendant quelques instants, toute la cour fut sens dessus dessous pour mettre le Loir à la porte ; et, quand le calme fut rétabli, la cuisinière avait disparu.
« Cela ne fait rien », dit le Roi, comme soulagé d’un grand poids. Appelez le témoin suivant ; et il ajouta à voix basse en s’adressant à la Reine : « Vraiment, mon amie, il faut que vous interrogiez contradictoirement cet autre témoin ; cela me fait trop mal à la tête ! »
Alice regardait le Lapin Blanc tandis qu’il fouillait la liste des témoins, curieuse de savoir quel serait le suivant.
« Car ils n’ont pas trouvé grand-chose jusqu’à présent », se dit-elle.
Imaginez sa surprise quand le Lapin Blanc cria, du plus fort de sa petite voix criarde : « Alice ! »
CHAPITRE XII
La déposition d’Alice
« Ici ! » cria Alice, oubliant tout à fait dans le trouble du moment combien elle avait grandi depuis quelques instants. Elle se leva si brusquement qu’elle accrocha le banc des jurés avec le bord de sa robe, et le renversa, avec tous ses occupants, sur la tête du public qui se trouvait au-dessous. On les vit se débattant de tous côtés, comme les poissons rouges du vase qu’elle se rappelait avoir renversé par accident la semaine précédente.
« Oh ! Je vous demande bien pardon ! » s’écria-t-elle toute confuse, et elle se mit à les ramasser bien vite, car l’accident arrivé aux poissons rouges lui trottait dans la tête : elle avait une idée vague qu’il fallait les ramasser tout de suite et les remettre sur les bancs, sans quoi ils mourraient.
« Le procès ne peut suivre son cours, dit le Roi d’une voix grave, avant que les jurés ne soient tous à leurs places ; tous ! répéta-t-il avec emphase en regardant fixement Alice.
Alice regarda le banc des jurés, et vit que dans son empressement elle y avait placé le Lézard la tête en bas, et le pauvre petit être remuait la queue d’une triste façon, dans l’impossibilité de se redresser ; elle l’eut bientôt retourné et replacé convenablement.
« Non que cela soit bien important, se dit-elle, car je pense qu’il serait tout aussi utile au procès dans un sens que dans l’autre ».
Aussitôt que les jurés se furent un peu remis de la secousse, qu’on eut retrouvé et qu’on leur eut rendu leurs ardoises et leurs crayons, ils se mirent fort diligemment à écrire l’histoire de l’accident, à l’exception du Lézard, qui paraissait trop accablé pour faire autre chose que demeurer la bouche ouverte, les yeux fixés sur le plafond de la salle.
« Que savez-vous de cette affaire-là ? demanda le Roi à Alice.
— Rien, répondit-elle.
— Rien de rien ? insista le Roi.
— Rien de rien, dit Alice.
— Voilà qui est très important, dit le Roi, en se tournant vers les jurés. Ils allaient écrire cela sur leurs ardoises quand le Lapin Blanc interrompit :
— Peu important, veut sans doute dire Votre Majesté, dit-il d’un ton très respectueux, mais en fronçant les sourcils et en lui faisant des grimaces.
— Peu important, bien entendu, c’est ce que je voulais dire », répliqua le Roi avec empressement. Et il continua de répéter à demi-voix : « Très important, peu important, peu important, très important » ; comme pour essayer lequel des deux sonnait le mieux.
Quelques-uns des jurés écrivirent « très important, » d’autres « peu important ». Alice voyait tout cela, car elle était assez proche d’eux pour regarder sur leurs ardoises. « Mais cela n’a absolument aucune importance », pensa-t-elle.
À ce moment-là, le Roi, qui pendant quelque temps avait été fort occupé à écrire dans son carnet, cria : « Silence ! » et lut sur son carnet : « Règlement 42 : Toutes les personnes mesurant plus d’un kilomètre devront quitter la salle ».
Tout le monde regarda Alice.
« Je ne mesure pas un kilomètre, dit-elle.
— Si fait, dit le Roi.
— Près de deux kilomètres, ajouta la Reine.
— Eh bien ! Je ne sortirai à aucun prix ; d’ailleurs ce n’est pas une véritable règle : vous venez de l’inventer à l’instant.
— C’est le plus ancien règlement qu’il y ait dans le livre, dit le Roi.
— Alors il devrait porter le numéro 1 ».
Le Roi pâlit et ferma vivement son carnet.
« Délibérez, dit-il aux jurés d’une voix faible et tremblante.
— Nous attendons d’autres dépositions, s’il plaît à Votre Majesté, dit le Lapin, se levant précipitamment ; nous venons juste de trouver ce papier.
— Qu’est-ce qu’il y a dessus ? dit la Reine.
— Je ne l’ai pas encore ouvert, dit le Lapin Blanc ; mais il semble que c’est une lettre écrite par l’accusé à … quelqu’un.
— Ce doit être ainsi, dit le Roi, à moins qu’elle ne soit écrite à personne, ce qui n’est pas ordinaire, voyez-vous.
— À qui est-elle adressée ? dit un des jurés.
— Elle n’est pas adressée du tout, dit le Lapin Blanc ; en fait, il n’y a rien d’écrit à l’extérieur. Il déplia le papier tout en parlant et ajouta : ce n’est pas une lettre, après tout ; c’est un poème.
— Est-ce l’écriture de l’accusé ? demanda un autre juré.
— Non, dit le Lapin Blanc, et c’est ce qu’il y a de plus étrange. - Les jurés eurent tous l’air fort embarrassés -.
— Il a du imiter l’écriture de quelqu’un d’autre, dit le Roi. - Le visage des jurés s’éclaira -.
— Pardon, Votre Majesté, dit le Valet, ce n’est pas moi qui ai écrit cette lettre, et ils ne peuvent pas prouver que c’est moi : elle n’est pas signée.
— Si vous ne l’avez pas signée, dit le Roi, cela ne fait qu’empirer votre cas ; vous devez avoir eu de mauvaises intentions, sans cela vous l’auriez signée, comme un honnête homme ».
Là-dessus, tout le monde applaudit ; c’était la première réflexion vraiment pertinente que le Roi eût faite ce jour-là.
« Cela prouve sa culpabilité, dit la Reine.
— Cela ne prouve rien du tout, dit Alice. Vous ne savez même pas ce dont il s’agit.
— Lisez ces vers, dit le Roi.
Le Lapin Blanc mit ses lunettes.
— Par où commencerai-je, s’il plaît à Votre Majesté ? demanda-t-il.
— Commencez au début, dit gravement le Roi, puis continuez jusqu’à ce que vous arriviez à la fin ; là, vous vous arrêterez ».
Voici les vers que lut le Lapin Blanc :
« Ils m’ont dit que tu fus chez elle,
pour qu'elle te dise son secret.
Elle te confia que bien que fidèle,
J'étais très loin de savoir nager !
Il écrivit que j’étais absent.
- Nous savons que c’est la vérité - .
Si elle poussait l’affaire plus avant,
Que pourrait-il bien vous arriver ?
Une, fut pour elle, deux pour lui.
Vous nous en avez accordé trois.
Mais toutes sont rendues aujourd’hui,
Bien qu’elles furent miennes autrefois.
Si elle ou moi, devait, c’est prouvé,
Être impliqué dans cette histoire,
Il compte que vous les libériez,
Restant fidèle à nos mémoires.
Pour moi, vous avez toujours été,
Bien avant son attaque de nerfs,
Un obstacle sans cesse dressé,
Entre lui, nous, et la première.
Cachez-lui qu’elle les aimait d’amour ;
Car ceci doit toujours demeurer,
Entre moi, et vous, venu à mon secours,
Inconnu de tous, un éternel secret.
« Voici la pièce à conviction la plus importante qui nous ait été soumise jusqu’à présent, dit le Roi en se frottant les mains ; ainsi, que le jury désormais …
— Si un seul des jurés peut l’expliquer, dit Alice - elle était devenue si grande dans ces derniers instants qu’elle n’avait plus du tout peur de l’interrompre -, je lui donne une pièce de monnaie. Je ne crois pas qu’il y ait un atome de sens là-dedans. »
Tous les jurés écrivirent sur leurs ardoises : « Elle ne croit pas qu’il y ait un atome de sens là-dedans », mais aucun d’eux ne tenta d’expliquer le poème.
« S’il ne signifie rien, dit le Roi, cela nous épargne une tonne de soucis, voyez-vous ; car il devient inutile d’en chercher l’explication ; et cependant je ne sais pas trop …, continua-t-il en étalant le poème sur ses genoux et en l’examinant d’un œil ; il me semble que je peux y déceler quelque signification, après tout. ‘J’étais très loin de savoir nager !’ : vous ne savez pas nager, n’est-ce pas ? ajouta-t-il en se tournant vers le Valet.
Le Valet secoua la tête tristement.
— En ai-je l’air ? dit-il. - Certainement pas, étant fait tout entier de carton -.
— Jusqu’ici c’est correct, dit le Roi ; et il continua de marmonner les vers en s’adressant à lui-même. ‘Nous savons que c’est la vérité’. Ceci désigne les jurés, bien entendu ! ‘Une fut pour elle, deux pour lui’. Eh bien, voilà ce qu’il a du faire des tartes, voyez-vous.
— Mais la suite est : ‘Toutes sont rendues aujourd’hui’, dit Alice.
— Justement, les voici ! dit le Roi triomphalement, en montrant du doigt les tartes qui étaient sur la table. Rien ne peut être plus clair ; et encore : ‘Bien avant son attaque de nerfs’. Vous n’avez jamais eu de crises de nerfs, il me semble, ma chère ? dit-il en s’adressant à la Reine.
— Jamais ! » dit la Reine d’un air furieux, tout en jetant un encrier à la tête du Lézard. - Le malheureux Bill avait cessé d’écrire sur son ardoise avec un doigt, s’étant aperçu que cela ne faisait aucune marque ; mais il se remit bien vite à l’ouvrage en se servant de l’encre qui lui coulait le long de la figure, aussi longtemps qu’il y en eut -.
— Dans ce cas, mon épouse, il y a donc méprise au lieu de crise », dit le Roi, promenant son regard tout autour de la salle en souriant. Il se fit un silence de mort.
« C’est un jeu de mots ! », reprit le Roi, vexé ; et tout le monde se mit à rire.
« Que le jury délibère, ajouta le Roi, pour à peu près la vingtième fois de la journée.
— Non, non ! dit la Reine. La condamnation d’abord ; on délibérera après.
— Cela n’a aucun sens ! dit tout haut Alice. Cette idée de prononcer la condamnation en premier !
— Taisez-vous, dit la Reine, qui devint pourpre de colère.
— Sûrement pas ! dit Alice.
— Qu’on lui coupe la tête ! hurla la Reine de toutes ses forces. Personne ne bougea.
— Qui s’intéresse à vous ? dit Alice. - Elle avait alors retrouvé sa taille d’origine -. Vous n’êtes qu’un paquet de cartes ! »
Là-dessus, tout le paquet de cartes sauta en l’air et retomba en tourbillonnant sur elle ; Alice poussa un petit cri, moitié de peur, moitié de colère, en essayant de les repousser. Elle se trouva étendue sur le gazon, la tête sur les genoux de sa sœur, qui écartait doucement de son visage les feuilles mortes tombées en voltigeant du haut des arbres.
« Réveille-toi, chère Alice ! lui dit sa sœur. Comme tu as dormi longtemps !
— Oh ! J’ai fait un rêve si étrange », dit Alice.
Et elle raconta à sa sœur, autant qu’elle put s’en souvenir, toutes les aventures singulières que vous venez de lire ; et, quand elle eut fini son récit, sa sœur lui dit en l’embrassant :
« Effectivement, c’était un rêve vraiment étrange, ma chérie. Mais maintenant rentre vite à la maison prendre le thé ; il se fait tard. »
Alice se leva donc et s’éloigna en courant, pensant le long du chemin, autant qu’elle le pouvait, au rêve merveilleux qu’elle venait de faire.
Mais sa sœur demeura assise tranquillement, tout comme elle l’avait laissée, la tête appuyée sur sa main, contemplant le coucher du soleil, et pensant à la petite Alice et à toutes ses merveilleuses aventures ; si bien qu’elle aussi se mit à rêver, en quelque sorte ; et voici quel était son rêve :
D’abord elle rêva de la petite Alice en personne : une fois encore, les petites mains de l’enfant étaient jointes sur ses genoux, et ses yeux vifs et brillants plongeaient leur regard dans les siens. Elle entendait jusqu’au son de sa voix ; elle voyait ce singulier petit mouvement de tête par lequel elle avait l’habitude de rejeter en arrière les cheveux vagabonds qui sans cesse lui revenaient dans les yeux ; et, comme elle écoutait ou paraissait écouter, tout s’anima autour d’elle et se peupla des étranges créatures du rêve de sa jeune sœur.
Les longues herbes bruissaient à ses pieds sous les pas précipités du Lapin Blanc ; la Souris effrayée faisait clapoter l’eau en traversant la mare voisine ; elle entendait les tasses s’entrechoquer, alors que le Lièvre de Mars et ses amis partageaient leur goûter sans fin, et la voix perçante de la Reine envoyant à la mort ses malheureux invités. Une fois encore, le bébé-porc éternuait sur les genoux de la Duchesse, tandis que les assiettes et les plats se brisaient autour de lui ; une fois encore, la voix criarde du Griffon, le grincement du crayon sur l’ardoise du Lézard, et les cris étouffés des cochons d’Inde réprimés sur ordre de la Cour, emplissaient l’air, tout en se mêlant aux sanglots lointains de la malheureuse Soi-disant Tortue.
C’est ainsi qu’elle demeura assise, les yeux fermés, s’imaginant presque au Pays des Merveilles, bien qu’elle sût qu’il lui suffisait d’ouvrir les yeux pour que tout redevienne l’ennuyeuse réalité : les herbes ne bruisseraient plus alors que sous le souffle du vent, et l’eau de la mare ne murmurerait plus qu’au balancement des roseaux ; le bruit des tasses redeviendrait le tintement des clochettes au cou des moutons, et elle reconnaîtrait les cris aigus de la Reine dans la voix perçante du petit berger ; l’éternuement du bébé, le cri du Griffon et tous les autres bruits étranges ne seraient plus, elle le savait bien, que les clameurs confuses d’une cour de ferme, tandis que le beuglement des bestiaux dans le lointain remplacerait les lourds sanglots de la Soi-disant Tortue.
Enfin elle se représenta cette même petite sœur, dans l’avenir, devenue elle aussi une grande personne. Elle imaginait comment elle saurait garder, dans sa maturité, le cœur simple et aimant de son enfance, et comment elle réunirait tout autour d’elle d’autres petits enfants, dont elle ferait briller les yeux vifs et curieux au récit de bien des aventures étranges. Peut-être même en leur contant ce songe du temps jadis, celui du Pays des Merveilles. Elle la voyait partager leurs petits chagrins, et se réjouir avec eux de leurs petits plaisirs, se souvenant ainsi de sa propre enfance, et des jours heureux de l’été.
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